En réponse aux nombreux déçus de la Hadhra 2010, Fadhel Jaziri («Bila moujamala» dimanche 18) avance deux arguments. Un : la méprise d'un public venu avec l'idée arrêtée de retrouver la version première des années 90 et qui a, en conséquence, «échigné à la nouvelle». Deux : la supériorité absolue» dans sa conception, sa mise en scène et son interprétation de cette version 2010. Méprise, il y en a eu sans doute. La mémoire musicale est souvent têtue. Quand elle a adopté et intériorisé une œuvre, il lui faut beaucoup pour en accepter d'autres. Discutable, en revanche, est l'idée de «supériorité absolue». Jaziri parle de «musiciens de haut niveau», de «lecture pointue du répertoire soufi», «d'images et de sonorités évoluées», de «voix et de chants autrement dotés et performants». Il a le droit de l'affirmer. Mais ce n'est que son avis. Il y en a d'autres. On est dans l'art, là où, par principe, création et réception sont dans une relation dialectique. Le discours unilatéral n'y a pas de place. Ou alors c'est que le créateur se met au-dessus de tous et de tout. En fait de musique et de chant, du moins, Jaziri n'a pas force raisons de monter sur son piedestal. On le sait homme de scène, mais franchement peu musicien, peut-être initié, peut-être mélomane, pas suffisamment musicien pour trancher de la sorte sur les répertoires, les patrimoines, les phrasés et les voix. Se doute-t-il, par exemple, que le public présent à «Carthage» a sifflé son spectacle, pas seulement par nostalgie d'une Hadhra ancienne, pas seulement parce qu'il était un peu froissé dans ses croyances, mais précisément, justement et simplement, parce que ces musiques n'avaient rien de subjugant, parce que ces chants étaient approximatifs et ces voix à peine dilettantes? Affirmation là aussi? N'exagérons pas tout de même : la préciosité gratuite du jeu, le méli-mélo des phrasés, la dissonance des solos étaient perceptibles à l'écoute commune. Les dissertations «érudites» de l'auteur n'y changent rien. Inversions, autoproclamations A dire vrai, il y a méprise sur le statut même de Fadhel Jaziri. Et elle dure depuis une certaine rupture avec Samir Agrebi. Quand le duo entama, en 1990, son travail sur le patrimoine tunisien, les rôles étaient clairement attribués. Agrebi avait la charge de la partie musicale, c'était son savoir, c'était son métier. Quant à Jaziri (il ne s'en cachait pas alors), il avait pour unique mission de hisser ces «Arts pauvres» à la scène. Réussite parfaite d'ailleurs : de véritables fresques en sont nées. Avec la séparation, hélas, les ego ont parlé. Jusqu'à l'inversion. Jusqu'à l'autoproclamation : Agrebi s'est installé dans «la théorie», alors que Jaziri a pris définitivement ses aises dans la musique. Il en a résulté cette suite ininterrompue de «Hadhras» personnelles, incomplètes, en trompe-l'œil, en trompe- l'ouïe. Disons que jusque-là, le prestige et l'audience de l'un comme de l'autre ont plus ou moins dissimulé les failles. Samir Agrebi a fini par comprendre que la «Hadhra» est en fin de cycle. Jaziri, lui, continue de ressasser les mêmes figures chorégraphiques, les mêmes décors, les mêmes costumes, aux fins, répète-t-il à l'envi, de «moderniser le patrimoine». La réaction du public, l'autre soir, au théâtre romain, faisait comme signe : la «mamelle» de la «Hadhra», dirait si Ali Ouertani, a été trop pressée.