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De l'inefficacité du changement des billets de banque
Opinion
Publié dans La Presse de Tunisie le 11 - 10 - 2016


Par Sami EL GOUDDI* et Abdeljaoued KACEM**
Tous s'accordent à dire que la crise économique en Tunisie commence à prendre une tournure inquiétante, suggérant l'amorce de réformes audacieuses. En s'inscrivant tout naturellement dans cette vision, on ne peut en revanche soutenir l'idée développée par certains de nos économistes préconisant purement et simplement le changement de la monnaie centrale.
En effet, cette proposition suscite deux catégories de critiques: la première porte sur la pertinence de l'argumentation économique. On soulignera alors que le remplacement de monnaie demeure inefficace pour répondre à l'objectif qu'on lui a assigné, à savoir la lutte contre la thésaurisation et la réduction de la sphère informelle. La seconde concerne la marginalisation de la dimension psychologique dans la conception et la présentation de ladite réforme. En effet, les économistes à l'origine de cette initiative auraient commis l'inadvertance de passer sous silence la réaction des acteurs à l'égard de la réforme proposée tout en postulant qu'ils allaient réagir de façon déterministe. On admet volontiers que cette discussion comporte un risque; celui de dépasser les contours de notre problématique. Même si cette proposition ne semble plus être d'actualité, on s'y attardera pour en faire une illustration pédagogique de la présence d'obstacles qui entravent le succès des réformes en Tunisie. Ainsi, nous tâcherons de présenter à grands traits une esquisse méthodologique sur les conditions présidant à la réussite des stratégies de réforme. Quelle que soit la solidité de leurs soubassements théoriques, les réformes demeurent infructueuses tant qu'elles ne suscitent pas l'adhésion des acteurs concernés.
L'argument économique : une approche déterministe
Le changement de billets est envisagé dans le but, nous dit-on, de lutter contre la thésaurisation. Voilà donc l'argument clé. Avec le changement de billets, les ‘'épargnants clandestins'' seraient contraints de se manifester lors de l'opération d'échange de leurs anciens billets contre les nouveaux. Une démonstration quasi-mathématique qui ne laisse pas l'ombre d'un doute sur le résultat attendu. Pourtant, de prime abord, cette option est critiquable. En présence d'une tendance inflationniste, comme c'est le cas en Tunisie, la thésaurisation devient très vite stérile. Pour échapper à l'effritement de leur capital, les acteurs concernés privilégient plutôt le réinvestissement de leurs liquidités dans le secteur réel sous forme, entre autres, de placements immobiliers.
Ainsi, force est de constater que l'existence même du problème que l'on souhaite résoudre est sujette à caution, si bien que le changement des billets bancaires semble d'emblée une démarche vaine.
Un autre argumentaire consiste à dire que cette réforme favorise la mobilisation d'une nouvelle épargne nécessaire aux financements de projets privés et publics.
On s'attachera dans les lignes qui suivent à démontrer que cette mesure est de nature à accentuer un autre phénomène, bien réel celui-là, et en forte recrudescence de surcroît; il s'agit de l'économie informelle.
Mais qui sont les principaux acteurs concernés et tant décriés par la thésaurisation? Pour simplifier, on peut les classer en deux catégories socioprofessionnelles.
Il y a tout d'abord les professionnels libéraux qui exercent une activité régie par une législation spécifique tels que les avocats, les médecins, les architectes et autres. Contrairement à la façon dont cette catégorie est perçue dans l'imaginaire collectif, la thésaurisation qu'elle pratique est, toutes proportions gardées, insignifiante. A supposer même qu'elle existe, elle ne peut être que temporaire, puisqu'elle est rapidement réinjectée dans le circuit économique sous forme d'investissements immobiliers principalement. Trois types d'objectifs sont visés par ces investissements. On peut citer en premier lieu la préservation du pouvoir d'achat. Ensuite, il y a la volonté de se constituer une épargne pour répondre, le cas échéant, aux besoins d'autofinancement de projets liés à l'activité professionnelle. Sur ce point, on note que les taux d'intérêt officiels sont tellement élevés qu'ils dissuadent quiconque souhaitant investir de contracter un emprunt bancaire sur le marché formel. Enfin, il existe une motivation de prévoyance: il s'agit d'une assurance professionnelle contre les aléas susceptibles d'empêcher les agents de cette catégorie d'exercer leur profession.
Quand bien même il s'agirait d'un comportement blâmable, l'acte de thésaurisation dans ce cas, et même s'il était circonscrit dans le temps, constitue souvent une réponse de dernier recours face à un dysfonctionnement chronique de la sphère économique formelle. Confrontés à de multiples distorsions d'une part et à l'incapacité de l'Etat de l'autre, les acteurs économiques se voient obligés de se protéger en investissant dans l'économie informelle. Même si ces activités sont ‘'secondaires'', il n'en demeure pas moins qu'elles réduisent les ressources fiscales de l'Etat.
La seconde catégorie se compose de commerçants, d'hommes d'affaires et de tous ceux qui ne rentrent pas dans la première catégorie, hormis les fonctionnaires. Particulièrement avertis, ces professionnels préfèrent investir massivement dans l'économie informelle. Les motivations de cette stratégie ne se limitent pas à des besoins de préservation de pouvoir d'achat, d'autofinancement ou de prévoyance, comme c'est le cas dans la première catégorie. S'ils investissent dans l'économie informelle, c'est dans le cadre d'une activité principale pour créer des richesses. Ce n'est plus une stratégie destinée à contourner les défaillances du marché, mais une stratégie d'accumulation à part entière. Sans conteste, les conséquences en sont dramatiques. Les acteurs de cette catégorie ne se contentent pas de priver la collectivité de ressources fiscales mais contribuent fortement à altérer les règles économiques et même politiques. Selon des rapports de la Banque mondiale, l'économie parallèle génère en Tunisie un volume d'échanges qui ne cesse de croître et qui dépasse dans certains secteurs celui de l'économie formelle. Une calamité donc puisque l'économie parallèle est source de tous les maux et dérives (fuite fiscale, exploitation salariale, absence de norme de sécurité des produits, etc.). Or, l'hypertrophie de l'économie informelle présente d'autres inconvénients qui dépassent les contours habituels de la sphère économique. On assisterait alors à l'affaiblissement de L'Etat, à la détérioration de la capacité de l'Etat à mener des réformes, à l'effritement du pouvoir dissuasif des lois, entre autres.
L'économie formelle ne peut plus, dès lors, être la base de la structuration de l'Etat. Les sceptiques commettent souvent l'erreur d'imputer à l'ordre économique une fonction tournée exclusivement vers la satisfaction des besoins matériels, oubliant que l'ordre économique constitue aussi un dispositif pacifique de régulation des antagonismes sociaux. Lorsque l'Etat perd son contrôle sur le fonctionnement de l'économie, c'est souvent synonyme d'une généralisation de l'anarchie et de la corruption.
D'ailleurs, cette catégorie professionnelle est désormais de plus en plus habile à faire la navette entre deux sphères économiques distinctes et entre lesquelles une spécialisation s'est bien établie: une économie informelle à laquelle incombe la responsabilité de la création et de la distribution des richesses et une économie formelle dont le rôle essentiel se limite à nouer des relations avec les institutions officielles. Tout se passe comme si l'utilité de l'économie formelle réside dans sa capacité à légaliser une partie de la valeur ajoutée que génère le marché informel. Dans cette configuration, l'économie formelle se transforme en agent sous-traitant, agissant pour les intérêts d'une économie informelle plus dominante que jamais.
Revenons à notre question de fond. Le changement de la monnaie centrale constitue-t-il, dans ces conditions, une mesure efficace pour limiter la thésaurisation ? La réponse est un non catégorique, la thésaurisation est un non-sens économique. Elle n'est guère rentable, à moins de porter sur des monnaies à faible taux d'inflation, telles les devises. Ce qui nous amène, en toute logique, à une autre question. Cette réforme aurait-elle alors un effet positif en matière de lutte contre l'économie parallèle? Là aussi, tout semble indiquer qu'il n'existe aucune relation entre le changement de billets et l'assainissement de l'économie formelle. On serait même tenté de dire que cette réforme risque de pousser les acteurs de l'économie parallèle à diversifier leurs stratégies pour se prémunir contre les aléas des réformes en surinvestissant dans le secteur immobilier ou en constituant des réserves en monnaies étrangères notamment.
Argument psychologique : une approche complexe
Puisque cette réforme est économiquement sans effets, on peut néanmoins lui attribuer un nouveau mérite mais d'ordre psychologique, celui-là. Beaucoup d'économistes sont, en effet, rétifs à la thèse de Karl Popper selon laquelle il n'y a pas de science qui ne repose sur une intuition, une métaphysique, un ‘'brin d'irrationalité''. Les économistes montrent encore plus de résistance à ces idées alors même que leur discipline déborde de postulations sur l'action humaine. Sans l'admettre, nos économistes retiennent deux hypothèses d'ordres psychologiques: tout d'abord ils supposent que la réaction des individus va nécessairement être en conformité avec leurs attentes: il suffirait de changer les billets pour que les agents perçoivent le message et s'y soumettent spontanément et immédiatement. On avait précédemment réfuté cette argumentation, déterministe et réductrice, en envisageant la possibilité que les acteurs adoptent un comportement totalement à l'opposé.
L'autre hypothèse, non explicitée, consisterait à dire que plus les solutions envisagées sont radicales en apparence et inhabituelles en pratique, plus elles seraient susceptibles d'aboutir aux changements espérés. Autrement dit, c'est la force du symbole qui serait mise en évidence. On se serait docilement laissé convaincre par pareil argumentaire si les promoteurs de la réforme avaient ouvertement abordé cette hypothèse en insistant sur les précautions à prendre en compte pour éviter ses méfaits.
Pourtant on demeure perplexe, puisque la force du symbole ou du choc psychologique s'étiole rapidement dès lors qu'elle n'est pas soutenue par des décisions concrètes. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le symbole, à lui seul, a de fortes chances de renforcer le phénomène qu'il est censé combattre. Dans un premier temps, le symbole ou le choc suscite la méfiance. Sans mesures fermes, univoques et tranchantes, l'incertitude s'installant, incite les agents à supposer les réformes annoncées évitables. Se mettront alors en place des parades visant la neutralisation des effets espérés des réformes. Il s'agit là d'une réaction immédiate. Or, les agents sont capables d'anticiper. Les annonces de réformes répétées aiguisent la méfiance des acteurs qui ne tarderont pas à envisager des actions d'anticipation préventives à travers notamment l'exode vers l'économie informelle. La versatilité des lois et l'arbitraire des réformes donnent malencontreusement du crédit à l'économie informelle dont la logique de fonctionnement interne offre, à certains égards, plus de stabilité et de visibilité. Voilà brièvement comment les effets de chocs sans mesures renforcent l'aversion des individus au changement et accélèrent, en l'occurrence, leur attachement à l'économie informelle. Pour reprendre le jargon des chimistes, le symbole est un accélérateur. Il ne peut se substituer aux éléments qui déclenchent la réaction. C'est pourquoi, la politique de changement de billets se doit d'être redéfinie sous l'angle du rôle accordé au symbole dans une dynamique de réforme. Il s'ensuit que le changement de monnaie est de l'ordre du symbole qui vient couronner et, en aucun cas, inaugurer une série de réformes administratives, sociales, fiscales, industrielles, etc.
Conclusion
En conclusion, nous affirmons que le changement de billets ne peut pas avoir d'impact sur la thésaurisation ni sur le rétrécissement de l'économie parallèle.
Au-delà de la réforme en question, il est plus qu'urgent de convenir d'une méthodologie destinée à aiguiller les politiques de réformes. Quelques précautions peuvent être prises à cet effet. On n'insistera jamais assez sur la nécessité de respecter une temporalité qui accorde aux acteurs la possibilité de s'adapter en douceur et sans donner l'impression que les réformes sont punitives. A cet effet, il nous paraît judicieux de procéder par balancement compensatoire : la conduite du changement doit être graduelle par effets de balancement où toute réduction des avantages de l'économie informelle s'accompagne d'une amélioration des avantages de l'économie formelle.
La stratégie de mettre en place un ensemble de réformes simultanément est incontournable. L'idée est que des réformes menées dans un domaine ne poussent pas les acteurs à glisser vers d'autres domaines en les contaminant.
Notre crainte c'est que l'impasse politique dans notre pays n'incite à agiter continuellement l'étendard des réformes, s'alignant de la sorte sur la position de Saint-Augustin lorsqu'il affirmait que les débats houleux sur la Trinité ne servaient aucunement à y apporter une réponse définitive mais à éviter de ne rien dire. Attitude nihiliste dont on se serait bien passé. La multiplication des annonces de réformes constitue, à bien des égards, un mode de gestion des pressions qui pèsent sur la classe politique. On peut comprendre l'utilité politique de cette attitude, il n'en demeure pas moins que c'est une arme à double tranchant. Si elle esquive les pressions et apaise les tensions temporairement, elle altère l'implication future des acteurs dans de nouvelles réformes.
S.E.G.
*Docteur ès sciences économiques et chercheur au Centre d'études et de recherches économiques et sociales (Ceres), Tunis
A.K.
**Docteur ès sciences économiques et chercheur ITEM Université Evry, France.
Le taux directeur se situe aux alentours de 6.5% alors qu'il ne dépasse pas les 0.5% dans la BCE et la FED
Sur ce point, nous recommandons aux lecteurs de consulter l'excellent rapport « Le secteur informel en Tunisie » paru le 18 juillet 2016 dans joussour.org. A voir également « La révolution inachevée : créer des opportunités, des emplois de qualité et de la richesse pour tous les Tunisiens », Rapport de la Banque mondiale, mai 2014.


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