Il est très flatteur de collectionner les instances constitutionnelles. Il est encore plus flatteur qu'elles exercent leurs fonctions dans le respect de la loi et que les Tunisiens sachent comment elles dépensent l'argent public On a fait la remarque dès les premiers jours où les membres de l'Assemblée nationale constituante (ANC) ont commencé à révéler à l'opinion publique nationale leur intention d'inscrire dans le texte de la Constitution de la révolution près d'une vingtaine d'instances constitutionnelles indépendantes : l'instauration à profusion de telles instances coûtera d'abord très cher à l'Etat, créera, ensuite, une atmosphère permanente de conflit de compétences entre les instances naissantes et les organisations de la société civile s'activant dans le même domaine d'activité et semera, enfin, la confusion auprès des citoyens qui ne sauront plus à quelle structure s'adresser et qui parmi ces structures plurielles est habilité à prendre en charge son dossier et à l'aider à recouvrer ses droits. Quand Samir Dilou a revêtu en 2012, à l'époque du premier gouvernement de la Troïka, la casquette du justicier n°1 de la révolution en devenant le ministre de la Justice, des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle, le siège de la défunte Chambre des conseillers au Bardo où il a installé ses bureaux s'est transformé en un véritable Palais de Justice où des milliers de Tunisiens affluaient quotidiennement pour occuper les jardins du ministère et ses grandes salles de réunion et exiger que leurs droits leur soient rendus immédiatement. Et l'on se rappelle encore comment les gardes du ministère ont recouru à la violence (sur ordre de Dilou ou de leur propre gré : personne ne le sait encore dans la mesure où l'enquête ordonnée par le ministre est toujours en cours) pour dégager les sit-inneurs parmi les blessés de la révolution et leurs familles venus exiger du ministre que leurs dossiers soient traités en urgence. Aujourd'hui et au moment où les Tunisiens ou ceux qui y croient encore s'apprêtent à fêter le 6e anniversaire de la révolution, on se demande où en sont les instances constitutionnelles indépendantes déjà créées, que fait le gouvernement pour la mise au point des autres instances prévues dans le texte de la Constitution comme l'Instance des droits de l'Homme, l'Instance de l'information, l'Instance du développement durable et de la protection des droits des générations montantes, etc. et enfin, que peut faire le gouvernement (le bailleur de fonds) et le Parlement (l'autorité de tutelle) face aux dissensions qui déchirent l'Instance vérité et dignité et face à l'état d'inertie totale dans lequel se trouve l'Instance nationale de lutte contre la torture dont la présidente déplore le manque de moyens financiers que le gouvernement est censé lui accorder, mais qu'elle n'a toujours pas reçus ? A l'époque du gouvernement Habib Essid, on attendait du grand militant associatif Kamel Jendoubi, Monsieur Isie par excellence désigné ministre chargé des Relations avec la société civile et les droits de l'Homme, qu'il parvienne à mettre de l'ordre dans ce monde un peu particulier où les ONG se livrent quotidiennement une guerre d'influence au point que certaines parmi les organisations étrangères installées en Tunisie n'hésitent plus à dicter leurs conditions aux gouvernements successifs depuis la révolution et à publier des communiqués-ultimatums à l'adresse des députés leur enjoignant d'avaliser leurs recommandations-ordres dans la rédaction ou le réaménagement des lois qui leur sont soumises. Malheureusement, Kamel Jendoubi a achevé son mandat ministériel sans parvenir à changer la donne ou au moins à délimiter les compétences et les domaines d'intervention des uns et des autres. Enfin, un cadre juridique Au sein du gouvernement Youssef Chahed, c'est Mehdi Ben Gharbia qui a pris la relève de Kamel Jendoubi. Hier, il a annoncé : «Le gouvernement est en train de finaliser le cadre juridique et institutionnel des instances constitutionnelles indépendantes». Le ministre chargé des Relations avec les instances constitutionnelles et la société civile intervenait devant les participants à une conférence-débat organisée par le centre Al Kawakibi pour la transition démocratique sur le thème : «Gouvernance et droits de l'Homme». Et il s'est trouvé obligé de relever que «la pluralité des intervenants dans le domaine des droits de l'Homme a engendré des lacunes au niveau de la transparence de l'action et des mécanismes de suivi et de contrôle». En d'autres termes, face à la floraison des organisations et associations défendant les droits de l'Homme et en attendant la création de l'Instance supérieure des droits de l'Homme (on ne sait pas encore quel sort sera réservé au Haut comité des droits de l'Homme et des libertés fondamentales présidé par Me Taoufik Bouderbala, la liste définitive des martyrs et des blessés de la révolution dormant toujours dans les tiroirs de la présidence de la République), le gouvernement ne sait plus avec qui traiter d'autant qu'au niveau international, plus particulièrement au sein de la commission onusienne des droits de l'Homme, on donne la parole à tout le monde, y compris à des réseaux dont l'âge ne dépasse pas parfois trois ou quatre ans. Et c'est la raison pour laquelle il est temps de mettre au point une législation claire qui définisse les prérogatives de tous les intervenants. Et ce n'est pas Nouri Lejmi, président de la Haica, ou Chafik Sarsar, président de l'Isie, qui peuvent s'opposer à la démarche du gouvernement. Faut-il rappeler que la Haica fonctionne depuis des mois amputée de quelques membres qui ont démissionné sans être remplacés et que l'Isie attend toujours que le parlement élise le tiers de ses membres dont le mandat a expiré depuis plus d'une année.