Emporté par la concurrence, si Mokhtar était l'incontournable libraire de notre quartier avant l'arrivée des grandes surfaces et l'invasion du commerce parallèle. Chez lui, il y en avait pour tous les niveaux scolaires et pour presque tous les goûts littéraires. Dans sa librairie de Bab El Jazira, la rentrée scolaire était une vraie kermesse. C'était 18 h non stop et 4 employés pour servir les clients sous des ventilos qui soufflaient le chaud ! La disparition de ce lieu magique, comme de plusieurs autres, est, là, l'image d'une époque révolue où les libraires se dévouaient à conseiller parents et élèves, consentaient des rabais aux familles à faible revenu et des facilités de paiement. Si Mokhtar était non seulement un de nos guides à l'orée de chaque nouvelle année scolaire, mais aussi un précieux compagnon des familles du quartier. Chaque année, 100 libraires ferment boutique avec toutes les conséquences possibles sur plusieurs familles vivant du secteur et, par ricochet, sur le niveau de la lecture dans le pays. Leur nombre est passé de 7.500 il y a 6 ans à 4.400 aujourd'hui. Une librairie ferme ici, une autre là-bas, remplacés par des gargotes, des cafés-chicha, des « friperies de luxe », des salons de thé attrape-nigauds et de restos à la carte prétentieuse. Or une librairie qui s'en va, c'est une mémoire qui disparaît, une source de rayonnement culturel qui tarit. On se bouscule de moins en moins dans les librairies On se bouscule de moins en moins dans les librairies. C'est que les temps sont durs. La concurrence des grandes surfaces, qui proposent des prix avantageux, et du commerce parallèle qui se met lui aussi sur le créneau de la fourniture scolaire, est insoutenable aux petits libraires. En dépit du cahier des charges autorisant les seuls papetiers-libraires ayant pignon sur rue à s'approvisionner en manuels scolaires, en cahiers subventionnés et autres fournitures scolaires auprès des agences du Centre National Pédagogique (CNP). En dépit des requêtes relatives à l'interdiction de la vente du cahier subventionné et des articles scolaires dans les grandes surfaces et a fortiori sur le circuit parallèle, le problème se pose quant à l'érosion du chiffre d'affaires de cette importante catégorie de commerçants qui ont bien du mal à supporter la comparaison en termes de prix et de facilité d'approvisionnement. La rentrée scolaire, c'est la haute saison commerciale pour les libraires – papetiers où ils réalisent 80% de leur chiffre d'affaires durant les mois d'août et septembre, avant de «galérer» pendant le reste de l'année. Or les cahiers subventionnés et autres fournitures se vendent de plus en plus dans le grand commerce de plus en plus prisé par le grand public car il offre un plus grand confort pour le client. Au grand dam de ces petits commerçants, très sérieusement lésés par le développement rapide du commerce libre. Le paradoxe, c'est que les gains réalisés par les grandes enseignes sont insignifiants par rapport à la multiplication des produits et des promotions. Envahissant et insaisissable Le commerce parallèle, envahissant et insaisissable, est lui aussi un ennemi juré des libraires. Il s'est accaparé les rues passantes, de Sidi Boumendil, le haut lieu de ce type de commerce informel, à la rue de Rome, en passant par la rue des Salines, Bab El Jazira, Bab El Fella, Sidi El Bahri et autres zones à grande fréquentation. Cartables, boîtes de stylos-feutres, crayons de couleurs, taille-crayons, compas, petits ciseaux, bref toutes les fournitures à la qualité douteuse y sont disponibles. Ces produits achetés chez des grossistes sont revendus sans être soumis à des taxes et à des charges. D'où des prix inhabituellement bas. Le commerce informel contribue encore à fragiliser nos braves libraires qui se mettent déjà à s'approvisionner sur le même circuit. Affaiblis par l'offre pléthorique des grandes enseignes, comment nos libraires pourraient-ils faire également face à une concurrence qui se place délibérément en marge de la loi? Varier l'offre avec un étalage parfumerie, un coin journaux, des invitations ou des cartes de visite en sous- traitance, la location de DVD, la réparation de PC ou de portables ? Il faut bien s'adapter mais ce n'est pas la bonne solution. Augmenter leur marge bénéficiaire sur la vente des manuels scolaires, les cahiers les livres et les dicos ? Ce n'est pas rentable dans la mesure où le consommateur choisit le moins disant. Changer carrément de vocation comme certains l'ont fait ? Peut-être mais il faut se recycler, remonter un nouveau circuit et surtout se permettre des crédits qui ne sont pas toujours à portée.