Le Dr Wahid Koubaâ, pédopsychiatre, propose de fixer l'âge de l'intégration scolaire à sept ans. Quelle méthode d'enseignement primaire convient-elle le mieux au développement psychologique et intellectuel de l'enfant ? Celle dite «syllabique», optée jadis par nos aïeuls et qui accompagnait l'enfant dans une initiation graduelle au phonème, à la lettre, à la syllabe, au mot et enfin à la phrase ou encore celle dite «globale» et qui mise sur sa capacité de mémorisation du graphique avant même d'en comprendre le sens ? La question suscite beaucoup de polémiques sans pour autant être tranchée. Les spécialistes, pour qui l'intérêt de l'enfant constitue une priorité absolue, la considèrent différemment. Mme Sondès Chamli est une ex-assistante pédagogique à l'Ecole Normale. Sa carrière et son expérience l'habilitent à évaluer l'utilité — et la puérilité — de chacune des méthodes précitées. Selon son avis, l'ancienne méthode est bien plus instructive car plus logique et plus enrichissante. «La méthode globale pousse l'élève à mémoriser une lettre donnée en récitant une phrase par cœur sans pour autant en saisir le sens. L'idée étant de capter le mot, pour le segmenter en syllabes puis en lettres (et en phonèmes). C'est exactement le chemin inverse de celui qui caractérise la méthode syllabique», indique-t-elle. En revanche, la méthode syllabique permet à l'enfant de connaître les voyelles, les consonnes pour parvenir à les associer dans une seconde étape. La pédagogue parle d'associations directes (le «L» et le «A» donnent «LA») et autres, inverses («AL»). «Grâce à cette méthode, l'enfant apprend, d'abord, à maîtriser le son (le phonème). Il faut dire qu'outre le graphisme, il y a d'autres composantes essentielles à l'épreuve de la lecture-écriture, notamment la phonétique et la sémantique. Pour apprendre une langue, il faut d'abord la parler, puis la lire et l'écrire. L'écriture s'avère être l'étape la plus ardue. Aussi, doit-elle aller de pair avec la compréhension», explique Mme Chamli qui désapprouve également la méthode semi-globale, laquelle repose sur le principe du calquage sur l'arabe et dont les manuels sont utilisés dans les pays francophones. L'avis de la pédagogue est controversé par celui du pédopsychiatre. Le Dr. Wahid Koubaâ, pédopsychiatre, considère en effet que la méthode globale est plus pratique et mieux adaptée au développement psychologique et intellectuel de l'enfant. «Grâce à cette méthode, l'enfant apprend à écrire au bout d'une année. Pour les enfants initiés à la méthode syllabique, cela nécessitait trois ans de labeur», fait-il remarquer. Pour une grille nationale d'évaluation des éventuels troubles entravant l'apprentissage Néanmoins, la méthode globale est idéale pour trois quarts des enfants. Le quart restant correspond aux enfants souffrant des problèmes de l'apprentissage ou à besoins spécifiques. Pour eux, le recours à la méthode mixte ou semi-globale pourrait résoudre, en partie, le problème et favoriser leur intégration dans le système scolaire, comme c'est le cas en France. Réussir l'intégration des élèves ayant des troubles de l'apprentissage dans l'environnement scolaire ne doit pas être une option mais une obligation. C'est pourquoi le pédopsychiatre propose de procéder à deux évaluations. La première devrait être réalisée à l'âge de trois ans, afin de déceler les gros problèmes liés à la motricité, à la gestion de l'espace, à l'agitation, à la concentration, etc. «Encore faut-il préciser, souligne-t-il, qu'un enfant ayant présenté des problèmes de ce genre à l'âge de trois ans ne risque pas, foncièrement, de les développer à l'âge scolaire». Quant à l'évaluation recommandée à l'âge de cinq ans, elle devrait, à son sens, être plus poussée afin de se plier aux éventuelles défaillances scolaires. Le Dr Koubaâ suggère, en outre, la création d'un comité pluridisciplinaire, comptant aussi bien des pédopsychiatres, des neuro-pédiatres, des psychologues cliniciens, des orthophonistes, des ergothérapeutes, des psychomotriciens, des psychopédagogues et des spécialistes du sport pour enfant. Ce comité serait chargé d'établir une grille nationale d'évaluations des éventuels troubles pouvant entraver aux apprentissages. Laquelle grille servira de référence pour les spécialistes les habilitant à apporter des solutions adaptées à cette population-cible. «Ces enfants ne devraient en aucun cas être stigmatisés. Nous devons les soutenir en leur offrant des solutions et des conseils à même d'améliorer leurs capacités et facilitant leur accès à la méthode globale», ajoute le Dr. Koubaâ. L'école à cinq ans : une gaffe à éviter La réforme du système éducatif constitue, indéniablement, l'un des grands chantiers de la Tunisie postrévolutionnaire. Un projet qui devrait procéder à la rectification des mesures infondées et remédier aux déficiences afin de permettre aux enfants, les adultes de demain, de bénéficier du droit à une éducation de qualité. Si l'on parle de plus en plus de l'éventuelle intégration scolaire à l'âge de cinq ans, cette idée ne réjouit ni les pédagogues ni les spécialistes de la psychologie infantile. Mme Chamli qualifie cette initiative en herbe de «grande gaffe». Quant au Dr. Koubaâ, il s'exprime sur les innombrables leurres effectués au détriment de l'enfance. En effet, bon nombre de jardins d'enfants procèdent, et sur exigence parentale, à l'initiation à l'écriture aux enfants de quatre ans. «C'est scandaleux ! L'Etat est vivement appelé à intervenir et à faire preuve d'intransigeance quant au respect des grandes lignes du programme pré-préparatoire, conformément aux besoins du développement physiologique et de l'état psychologique de l'enfant», recommande-t-il. Il ajoute : «On risque de détruire une bonne partie des nouvelles générations par des exigences disproportionnées à l'âge de l'enfant». Le système tunisien est à côté de la plaque ! S'agissant de l'âge idéal à la scolarisation, le pédopsychiatre s'inspire des expériences réussies des pays occidentaux pour suggérer un modèle susceptible d'épouser le développement psychomoteur de l'enfant et de doter ce dernier de toutes les chances de réussir son parcours, sa vie. Selon le spécialiste, scolariser l'enfant à l'âge de cinq ans est plus qu'illusoire. A cet âge-là, l'enfant vit son complexe d'Oedipe. «Il s'en sort, généralement, avec une angoisse de castration qu'il sublime par l'envie du Savoir et des connaissances. Cette phase se situe à l'âge de cinq/ six ans à quelques mois près», indique-t-il. Dans les pays amis, cette phase est prise en considération. En Suède, par exemple, l'âge de la scolarisation est fixé à huit ans. Aux USA, de plus en plus de parents demandent à ce qu'on intègre leurs enfants à l'âge de sept ans. «Un enfant de sept ans, qui se trouve dans un groupe d'enfants âgés de six ans, aurait plus d'élan scolaire, plus de capacités intellectuelles et physiques et plus d'estime de soi que ses semblables. Il serait nettement en avance par rapport à eux. Cela dit, cette exception est quasiment généralisée aux USA. Du coup, elle n'a plus l'impact requis», explique-t-il. Le pédopsychiatre avance un projet de réforme Cela dit, le pédopsychiatre propose de fixer l'âge de la scolarité à sept ans, en raison de la maturité intellectuelle, psychomotrice, sociale, et du sens de la scolarité de l'enfant à cet âge-là. Il suggère aussi de condenser les six ans de l'enseignement primaire en cinq ans. Pour ce qui est de l'organisation, «il serait idéal de consacrer une salle pour chaque classe. L'horaire scolaire serait de 9h00 à 16h00. Il inclurait les récréations, la pause du déjeuner sur place et les activités sportives. Les après-midi seraient consacrées aux activités extrascolaires», indique-t-il. Pour ce qui est du programme préscolaire, soit avant l'âge de sept ans, il devrait être bien codifié aussi bien dans le secteur public que celui privé. Le spécialiste insiste sur l'impératif de renforcer la formation des enseignants afin qu'ils soient aptes à accomplir leur mission en bonne et due forme. «Il faudrait rouvrir l'Ecole Normale pour la formation des instituteurs tout comme il faudrait instaurer l'Académie de l'enseignement; laquelle est restée au stade de projet, et ce, depuis 1956. Ces deux institutions seraient la solution pour garantir une formation bien fondée, renfermant tous les volets cruciaux, dont la psychologie de l'enfant, la pédagogie, la linguistique, la bonne prononciation et la belle écriture», conclut le Dr Koubaâ.