Un film et des visiteurs munis de leurs caméras et appareils photo, c'était l'événement pour les détenues de la prison pour femmes de La Manouba. Qu'est-ce qu'on aurait aimé trouver des réponses à ces questions : comment est la vie dans cette prison pour femmes ? Quels sont les moyens dont dispose cette institution carcérale, tant au niveau du personnel que du matériel ? Est-ce que les conditions de détention sont suffisamment humanisées ? Mais notre mission était «culturelle» vendredi dernier, nous devions couvrir l'avant-dernier épisode du programme des JCC (Journées culturelles de Carthage) réalisé en partenariat avec l'Omct (Organisation mondiale contre la torture) et qui en est à sa deuxième année. Il s'agit de projeter des films dans les prisons, à Borj Erroumi, La Manouba, Mornag, Messaâdine (Sousse), Mahdia, et au centre de redressement pour garçons d'El Mourouj. Dans le bus qui nous a emmenés à la prison pour femmes de La Manouba, nous avons profité de l'occasion pour en savoir plus sur ce programme. Il semblerait, d'après la représentante de l'Omct, que les films doivent obéir à certains critères : pas de scènes de violence, pas de scènes d'amour, pas de nudité ni des séquences qui font allusion à la drogue ou au meurtre. Ce ne sont donc pas des films qu'ils veulent programmer pour les détenues, mais la météo ! Heureusement que la direction des JCC a fait des siennes et a imposé ses choix. C'est ainsi que nous nous sommes retrouvés avec «Nhebek Hedi» à La Manouba. Rappelons que ce film a été primé à la Berlinale 2016 (Ours d'argent du meilleur acteur décerné à Majd Mastoura, et prix du meilleur premier film pour Mohamed Ben Attia son réalisateur). Les détenues étaient donc bien servies. Des scènes d'amour il y en avait, mais sans nudité. Mais quand Hédi est apparu torse nu et en plan large, les filles ont crié au scandale. Ce qui ne les a pas empêchées de regarder le film jusqu'au bout et d'apprécier l'histoire. Une des détenues a avoué que, pendant la projection, elle a oublié qu'elle était en prison. Par la suite, il y a eu un débat. Les filles ont posé les bonnes questions. Leurs feed-back étaient très intéressants, et dans leurs discussions avec les acteurs (M. Mastoura et Sabah Bouzouita) et le réalisateur, elles n'avaient rien à envier aux grands cinéphiles. Dans la petite salle réservée à la projection, il y avait des Subsahariennes. «Que font-elles dans cette prison ?». Cette question nous brûlait les lèvres. Mais aucun responsable ne voulait satisfaire notre curiosité. On nous avait interdit de photographier les détenues de face, et de filmer le haut de la prison, là où il y a les fils barbelés et toute l'armada de la surveillance. Nous avons laissé nos téléphones portables à l'entrée, et on a défendu aux détenues de faire des «déclarations aux journalistes». Ceci dit, malgré toutes les procédures et les interdictions, l'accueil des responsables était très chaleureux. Nous avons même eu droit au tapis rouge. «C'est en votre honneur», nous a dit un responsable en uniforme. C'est à croire que le côté «petit Cannes» des JCC a contaminé les prisons .Notons que cette institution carcérale compte un très grand nombre de prisonnières condamnées pour tout ce qu'on peut imaginer comme crimes et délits. Ce qui n'est pas du tout rassurant quant à la santé de notre société.