Par Abdelhamid GMATI Mercredi dernier, dans la matinée, un homme, portant un sac à dos, menaçait de se faire exploser au siège de la poste au centre ville de Tunis. Le gouverneur de Tunis et des sécuritaires réussirent à désamorcer la situation. Il s'avéra qu'il s'agissait d'un faux kamikaze qui ne portait sur lui que deux paquets de pâtes alimentaires liés à des fils électriques, en guise de ceinture explosive. Selon un communiqué du ministère de l'Intérieur, «l'homme, qui est vendeur ambulant, voulait que des responsables écoutent ses doléances et l'aident à trouver des solutions à ses problèmes et à se reconstruire ». Ce cas n'est pas unique. Plusieurs jeunes et moins jeunes ont pratiqué ce « chantage au suicide », généralement parce qu'ils étaient à bout et voulaient qu'on s'intéresse à leur cas et qu'on les aide. Une étude nous révèle que durant l'année 2015, on a compté un cas de suicide par jour, soit 365 au total. Plus récemment, et pour les mois de septembre et octobre derniers, on a recensé 220 suicides et tentatives de suicide. Des sociologues, des psychiatres, des psychologues et d'autres chercheurs se sont penchés sur ce fléau, essayant d'en connaître les raisons. On pointe ainsi du doigt les diverses formes de pression, de frustration, d'injustices sociales et économiques, de ras-le-bol, déclenchant cet « appel au secours » qui peut aller jusqu'à la solution extrême : la tentative et le suicide. Le sociologue Mohamed Kerrou estime que «le suicide est un fait social». Il met en garde contre « les interprétations déterministes considérant le suicide comme phénomène social incontrôlable », et s'interroge sur le rôle joué par la société dans la production de tant de suicidés. Exclus par la société, ils seraient «porteurs d'une protestation» dont l'expression aboutit à un «suicide réactionnel». De fait, le Tunisien est stressé et avec les différentes crises (politique, économique, sociale) que traverse le pays depuis 5 ans, il perd ses repères, il déprime et connaît la mal-vie. Il est intéressant de noter qu'« au mois d'octobre, 63% des suicides ou tentatives de suicide ont été observés chez la tranche d'âge 26-35 ans, tandis qu'au mois de septembre le plus grand taux, soit 49%, a été enregistré chez la tranche d'âge 36-45 ans, suivie de la tranche d'âge 26-35 ans qui a enregistré 34% de cas ». La déprime se trouve chez les jeunes, les adultes et...à l'étranger. Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la dépression, qui touche environ 350 millions de personnes dans le monde, est passée en 10 ans du troisième au deuxième rang des causes d'invalidité dans le monde. L'OMS anticipe qu'elle atteindra la première place en 2030. En France, 15% des consultations dans l'ensemble des services des hôpitaux concerneraient des cas de dépression. Aux Etats-Unis, 19 millions d'Américains (6% de la population totale) seraient déjà sujets à des dépressions chroniques, 28 millions consommeraient des antidépresseurs et 15% auraient des tendances suicidaires sérieuses...La Tunisie est parmi les pays arabes où la prévalence de la dépression dépasse les 7 %. Selon le psychiatre Lyès Sraïri, «si les problèmes liés au tabagisme et à la consommation d'alcool sont légion, depuis longtemps, il est malheureux de constater que le fléau de la consommation de stupéfiants et de substances psycho–actives est en augmentation exponentielle, dans notre pays, avec tous les dégâts qui y sont liés sur le plan de la santé mentale, mais aussi comportemental, illustrés par des accidents de divers ordres, difficultés relationnelles, agressions physiques...la violence qui fait partie du comportement dit pseudo – psychopathique, en rapport avec la période d'adolescence est en ascension vertigineuse. Cela est dû à des causes conjoncturelles (période post- révolution où la violence est banalisée et constitue un mode de transition et de changement d'une société en mal de repères), mais aussi à des causes plus profondes, plus structurelles, représentées par une modification de la structuration de base de la société qui se noyaute, ce qui alourdit la tâche parentale. Les parents n'ont d'autre choix, devant la lourdeur de la tâche, que la démission ». Concernant le suicide, le psychiatre estime qu'il s'agit d'«un problème psychiatrique par excellence ; toutefois, il y a le suicide réactionnel, chez un adolescent en plein malaise, désorienté, déboussolé, et il y a le suicide qui fait partie d'une pathologie psychiatrique (troubles de l'humeur, schizophrénie, troubles obsessionnels compulsifs sévères...) ». En fin de compte, et face aux diverses complications, le Tunisien aspire à mieux vivre, à vivre sereinement, en ayant l'espoir d'un avenir meilleur. Et cela est une tâche qui revient à l'ensemble de la société.