ISTANBUL (Reuters) — La nette victoire en Turquie du "oui" au référendum sur une série d'amendements à la Constitution place l'AKP, le parti du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, en position idéale pour obtenir un troisième mandat lors des prochaines élections législatives. D'après les médias, le "oui" l'a emporté par 58% des voix contre 42% et le taux de participation s'est élevé à 77% des quelque 50 millions d'électeurs inscrits. Les élections législatives doivent avoir lieu au plus tard en juillet 2011. Le référendum portait sur un ensemble de 26 points très divers, parmi lesquels une réorganisation de l'appareil judiciaire, bastion du camp laïque, a priori hostile à l'AKP (Parti de la justice et du développement), d'inspiration islamique, arrivé au pouvoir en 2002. "'Oui', mais cela ne suffit pas", résume le quotidien libéral Radikal, soulignant que le résultat du référendum reflète l'appétit de changement de la population turque et doit se concrétiser par l'adoption d'une nouvelle Constitution. L'AKP a promis de s'y employer rapidement, pour remplacer la loi fondamentale de 1982 adoptée à l'époque par les militaires. Plusieurs journaux soulignaient hier que les électeurs, qui étaient conviés aux urnes le jour même du trentième anniversaire du putsch du général Kenan Evren, le 12 septembre 1980, ont tourné la page du coup d'Etat militaire. "La Turquie efface la honte du coup d'Etat", titre ainsi le quotidien pro-gouvernemental Sabah. Hier, des plaintes ont été déposées par des mouvements de défense des droits de l'Homme au parquet d'Ankara pour que les auteurs du coup d'Etat de 1980, notamment Evren, aujourd'hui âgé de 93 ans, soient poursuivis pour crimes contre l'humanité. Après le putsch, une cinquantaine de personnes avaient été exécutées, des centaines d'opposants avaient disparu ou étaient morts en prison. Ligne de fracture L'opposition laïque, conduite par le Parti républicain du peuple (CHP), voit dans les réformes constitutionnelles une tentative de prise de contrôle des tribunaux par l'AKP, qui possède une forte majorité parlementaire et s'est assuré une solide base politique ces dernières années. Les changements de nature à affecter la composition de la Cour constitutionnelle et celle du Conseil supérieur de la magistrature inquiètent tout particulièrement l'opposition. Toujours dans le domaine de la justice, il deviendra plus facile désormais de traduire des membres de l'armée — autre grand pilier de la laïcité turque — devant des tribunaux civils. L'AKP, qui nie toute intention de réduire le champ de la laïcité dans le pays, se présente comme un homologue des partis chrétiens-démocrates conservateurs de l'Union européenne. Aux législatives de 2007, il avait obtenu 47% des voix. Le parti au pouvoir tire notamment sa popularité de sa volonté d'ancrer la Turquie dans l'UE et de la période de croissance sans précédent qu'il a pilotée. La forte récession de l'an dernier a été compensée par une robuste reprise. Le ministre turc des Finances, Mehmet Simsek, s'est réjoui du résultat du référendum qui permettra selon lui de "renforcer la confiance en la Turquie". "Cela fournira une occasion d'élargir et d'approfondir notre programme de réformes", a-t-il dit. La victoire du "oui" a été saluée par les marchés financiers. La Bourse a pris 2% et la livre turque s'est appréciée contre le dollar. Beaucoup de commentateurs jugent cependant que la ligne de fracture entre partisans de l'AKP et militants du camp laïc risque de se creuser encore davantage après ce référendum. "La politique va se polariser et se durcir encore plus", estime Faruk Logoglu, ancien ambassadeur aux Etats-Unis. "Le parti au pouvoir sera moins à l'écoute de l'opposition et l'opposition aura recours à des mots et des tactiques plus durs dans l'espoir de miner le gouvernement."