Le secteur pharmaceutique privé traverse une crise sans précédent. C'est l'alerte lancée par Zoubeir Guiga, président du Syndicat des pharmaciens d'officine de Tunisie (Spot). Lors de son passage ce mardi sur les ondes d'Express FM, il y dénonce une situation financière intenable pour les pharmacies, étranglées par une fiscalité excessive, une rentabilité en chute libre et des dettes structurelles accumulées depuis plus de deux décennies. Inflation, fiscalité et coût du travail : un cocktail explosif Selon Guiga, le bénéfice net d'une pharmacie ne dépasse plus 8 %, et dans 60 à 70 % des cas, il est inférieur à 3 000 dinars par mois, soit dix fois moins qu'il y a dix ans. "Aujourd'hui, un pharmacien ne peut plus acheter un logement après dix ans de carrière, alors qu'il le pouvait en deux ans auparavant... Le secteur est devenu 'appauvrissant'", a-t-il déploré. Les professionnels dénoncent aussi un modèle économique figé. Contrairement à d'autres secteurs, les marges bénéficiaires sont fixées par l'Etat. Or, la hausse des coûts de fonctionnement, notamment des salaires et des charges fiscales, pèse lourdement sur la trésorerie des officines. À cela s'ajoute une croissance atone du marché du médicament, estimée à moins de 5 % par an. Dans ce même cadre, Guiga a ajouté que la situation est aggravée par les dettes impayées de la CNAM, estimées à 200 millions de dinars, accumulées depuis plus de 20 ans. Le président du Spot a aussi précisé que pour certaines pharmacies, les transactions avec la CNAM représentent jusqu'à 70 % de leur chiffre d'affaires, rendant leur activité extrêmement dépendante des remboursements publics. "De nombreuses pharmacies n'ont plus la capacité de payer leurs cotisations sociales ni de rembourser leurs crédits bancaires. Beaucoup ont dû rééchelonner leurs dettes", a-t-il ajouté. Il a en outre appelé à des solutions structurelles, avertissant que la viabilité du secteur et l'approvisionnement en médicaments sont menacés. Produits illicites et confusion entre pharmacie et parapharmacie Malgré les multiples courriers adressés aux autorités, aucune réponse concrète n'a été apportée. Guiga appelle à l'application immédiate du procès-verbal de la dernière réunion tenue en présence du ministre des Affaires sociales. "Je ne signerai plus aucun accord qui ne comporte pas de garanties d'exécution", a-t-il déclaré. Le président du syndicat déplore également l'absence de modernisation du secteur. "Les méthodes de travail n'ont pas changé depuis plus de 20 ans", a-t-il indiqué, tout en appelant à une digitalisation urgente, notamment dans la gestion des stocks et le suivi des prescriptions. Concernant les compléments alimentaires, il a souligné l'absence de cadre juridique clair, bien que les textes aient été signés par le ministre de la Santé. Ils restent bloqués au niveau de la présidence du gouvernement, selon lui. Guiga a aussi tiré la sonnette d'alarme sur la prolifération de produits cosmétiques et médicamenteux illégaux, vendus sur le marché parallèle ou dans des espaces parapharmaceutiques non réglementés. Il insiste sur la nécessité de réserver l'appellation "pharmacie" exclusivement aux officines agréées, à l'image de la décision prise à Sfax. Face à cette situation, le syndicat a dénoncé dans un communiqué les arrestations massives et auditions abusives de pharmaciens, plus de 60 en un mois, estimant que cela représente "une atteinte grave à la dignité des professionnels et une menace pour la continuité du service de santé dans le pays". Le syndicat réaffirme son ouverture au dialogue, mais prévient qu'il n'hésitera pas à recourir à tous les moyens légaux pour défendre la profession, les patients et la souveraineté sanitaire nationale. "La dignité du pharmacien est une ligne rouge. Et la sécurité médicamenteuse du citoyen est une responsabilité partagée qui ne peut être différée", conclut le communiqué.