L'accord gouvernement-Ugtt d'avant-hier a permis l'annulation de la grève générale prévue par la centrale syndicale pour hier. Mais il n'en fut pas moins un accord scellé in extremis, à l'issue d'un bras de fer de plus de deux mois. Cela avait tenu le pays en haleine dans un échange crispé dont, somme toute, on aurait pu faire l'économie. Résumons. M. Youssef Chahed, chef du gouvernement, avait donné le la dans son interview du 28 septembre dernier : point d'augmentations salariales d'ici 2019. Et cela ne tarda pas à mettre le feu aux poudres de la discorde. L'Ugtt a d'emblée refusé ce qui ressemblait à un oukase impromptu, d'autant plus que lesdites augmentations étaient signées, publiées et consignées dans le fameux document de Carthage ayant présidé à la formation du gouvernement dit d'union nationale de Youssef Chahed. S'ensuivit un échange vicié. Avec, en toile de fond, une forte pression du FMI, dont la présidente, Mme Christine Lagarde, avait fustigé le volume de la masse salariale en Tunisie et conditionné l'aide à notre pays à la compression drastique des salaires. Ce furent, deux mois et dix jours durant, les péripéties d'un véritable psychodrame fantasque. On a soufflé le chaud et le froid et alterné les déclarations outrancières et à l'emporte-pièce entrecoupées de très brèves accalmies le plus souvent feintes. Tout compte fait, M. Youssef Chahed a dû faire machine arrière. Et l'Ugtt a administré la preuve, encore une fois, qu'elle sait tempérer les ardeurs des gouvernements et obtenir gain de cause en dernière instance. Côté gouvernement, il s'avère impératif de rectifier le tir. Ce que M. Youssef Chahed avait annoncé à tue-tête, il a dû y renoncer à voix basse, presqu'en s'excusant et en rasant les murs. Et pour cause. La déclaration du 28 septembre, au même titre d'ailleurs que celle relative à l'emprisonnement des corrompus et corrupteurs, s'est avérée contreproductive. Dans un cas comme dans l'autre, la mise en exercice a fait défaut. Youssef Chahed aurait gagné à la mûrir. La politique ne saurait être réduite à de simples effets d'annonce, si véhéments soient-ils. Ceci pour la petite histoire. Côté institutionnel, les carences sautent aux yeux. M. Youssef Chahed n'a guère dans son cabinet M. Syndicats, contrairement à plusieurs gouvernements antérieurs. D'ailleurs, le gouvernement s'est retrouvé également en porte-à-faux dans leur registre des mesures fiscales du projet de loi de finances relative aux avocats, aux médecins et aux pharmaciens notamment. Par ailleurs, on gagnerait à promulguer la loi relative à la haute instance du dialogue social, dont la présidence est tournante et assumée par les trois principales organisations de masse, Ugtt, Utica et Unat. Une instance qui sera sans nul doute le lieu privilégié d'un dialogue pérenne et au-dessus des chapelles partisanes. Quant à l'Ugtt, si elle l'a remporté cette fois, elle gagnerait à dresser le bilan relatif aux prestations de ses principaux ténors en matière de médias et de communication. Son capital sympathie s'érode au fil des jours, notamment auprès de la classe moyenne. Certains dirigeants syndicaux sectoriels échappent à tout contrôle et jouent volontiers la surenchère et le pourrissement, sur fond électoraliste non avoué. L'orage est passé, plus jamais ça. C'est aller trop en besogne que d'y souscrire les yeux fermés. Dans d'autres domaines, l'éducation et la santé notamment, le feu rougeoie encore sous la braise. En attendant quelque coup de vent. Ou quelque déclaration à l'emporte-pièce d'un haut responsable gouvernemental.