Résumons : le Fonds monétaire international (FMI) exige la réduction draconienne des salaires en Tunisie. En contrepartie, il s'engage à accompagner la batterie de réformes décidées par le gouvernement tunisien. Mme Christine Lagarde, directrice générale du FMI, l'avait déclaré sans ambages lors de sa dernière visite dans nos murs. Une position réitérée pas plus tard qu'hier par M. Ahmed Messaoud, directeur du département Moyen-Orient et Asie centrale au sein du FMI. En fait, des représentants du gouvernement tunisien participent, du 7 au 9 octobre 2016, aux assemblées générales d'automne de la Banque mondiale et du FMI. Le gouvernement aspire à bénéficier de l'appui des deux institutions pour financer la stratégie de développement quinquennal 2016-2020. Ahmed Messaoud a déclaré à l'envoyée spéciale de l'agence TAP que la Tunisie «doit maîtriser la masse salariale, qui représente 14% du PIB». Il a souligné également que le FMI s'engage pour la réalisation des objectifs économiques mis en place par le gouvernement tunisien. On comprend dès lors pourquoi M. Youssef Chahed a déclaré qu'il s'est engagé en faveur du gel des augmentations salariales prévues pour 2017 et 2018. Pourtant, le gouvernement précédent avait signé lesdites augmentations qui figurent par surcroît dans le Document de Carthage — consensuel — qui avait présidé à la formation du gouvernement dit d'union nationale que préside M. Youssef Chahed. Il faut dire aussi que l'ancien ministre des Finances (dans le gouvernement sortant de Habib Essid) et le gouverneur de la Banque centrale avaient envoyé une lettre à la présidente du FMI où ils font part de l'engagement du gouvernement tunisien en faveur du gel des augmentations salariales ! On comprend aussi le pourquoi de la levée de boucliers affichée par l'Ugtt la semaine dernière. La motion du bureau exécutif de la centrale syndicale est catégorique : un refus net du gel des augmentations salariales. Pour l'Ugtt, le gouvernement devrait plutôt récupérer les ressources financières dans la sphère brumeuse de l'évasion fiscale, de la corruption et de l'économie parallèle. Les syndicalistes font valoir également que les salariés s'acquittent de près de 80% des impôts, tandis que les patrons et d'autres corps de métiers s'y dérobent en toute impunité. Le gouvernement, lui, constate un trou de près de 13 milliards de dinars dans le nouveau budget, qui s'élèverait à environ 34 milliards de dinars. La dette interne pourrait rapporter quelque 3 à 3,5 millards de dinars. Restent 10 milliards de dinars en suspens. Auxquels il faut ajouter un taux catastrophique de déficit budgétaire ayant atteint les 6,4%. Aucune institution ne pourrait garantir ni assurer un prêt de 10 milliards de dinars. Et puis, misère des jours oblige, nous contractons désormais des prêts à des taux de 13%. Il s'élevaient il y a quelques années à 0,6%. D'où l'idée d'opérer une coupe dans les augmentations salariales prévues pour 2017, soit 1.600 milliards de dinars sur la masse salariale prévue initialement à charge de 15 milliards de dinars. La semaine dernière, on a entendu, des deux bords, des discours tranchants frisant parfois la surenchère. Tel fut le cas tant de la ministre des Finances, Mme Lamia Zribi, que de certains dirigeants de premier plan de l'Ugtt. Puis cela s'est relativement calmé, les divers protagonistes ayant tempéré leurs ardeurs. Un conseiller du chef du gouvernement m'a déclaré jeudi dernier qu'à l'issue du communiqué du bureau exécutif de l'Ugtt, le gouvernement a décidé de ne pas camper dans l'intransigeance affichée auparavant. Il propose toutefois le report du gel des augmentations salariales pour la seule année 2017, ce que l'Ugtt récuse de prime abord et en dernier ressort. En tout état de cause, dès demain, lundi, débutera un nouveau round des pourparlers gouvernement-Ugtt dits 4+4. En point de mire, le gel dicté par le FMI et son refus catégorique par l'Ugtt. Les observateurs avertis affichent un optimisme raisonné, voire mesuré. Ce sont les pourparlers de la dernière chance. Le gouvernement a un deadline. Il doit présenter le projet de la loi de finances au Parlement au plus tard le 15 octobre. D'ici là, il devra avoir tranché sur les augmentations salariales. Autrement, l'Ugtt mettrait en branle sa puissante machine protestataire et le gouvernement de Youssef Chahed en ferait immanquablement les frais. D'autant plus qu'on escompte beaucoup de la conférence internationale des donateurs prévue fin novembre dans nos murs. Un climat politique et social vicié ou dégénéré l'hypothéquerait en bonne et due forme. M. Youssef Chahed est en face d'un choix cornélien. Il devra choisir entre deux possibilités contradictoires ressenties toutes les deux comme des obligations. D'un côté ça chauffe, de l'autre ça brûle. Et entre les deux, un véritable chemin de croix où les exigences de la raison et les caprices des sentiments s'entrechoquent. Parce que la passion est aussi souffrance.