Par M'hamed JAIBI Porte-drapeau de l'indépendance de la justice, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) fait désormais l'objet d'une lutte ouverte entre deux structures s'exprimant au nom des magistrats tunisiens : le syndicat et l'association. Après une longue et complexe polémique à propos des composantes professionnelles devant siéger au Conseil, voilà que la bataille divise les magistrats eux-mêmes, tourne autour des membres ès qualité de cette institution constitutionnelle, et de la partie habilitée à les désigner. Raoudha Karafi, présidente de l'Association des magistrats tunisiens (AMT), fait état de sa crainte d'assister à une «politisation des nominations au sein de la justice tunisienne». Elle est affirmative : «Il y a un groupe de magistrats qui, avant même leur prestation de serment en tant que membres du CSM, ont demandé au chef du gouvernement de ne pas entériner les nominations faites par l'instance de la justice judiciaire». Selon elle, un scénario similaire s'était présenté en 2013, lorsque le chef du gouvernement de l'époque avait refusé de signer certaines nominations, mais suite à la contestation des magistrats et leur plainte auprès du tribunal administratif, celui-ci avait alors statué que les nominations dans la justice sont l'apanage exclusif de l'instance de la justice judiciaire. Karafi dit craindre aujourd'hui que les nominations futures, qui seront faites par le CSM, ne soient «décidées finalement par le pouvoir exécutif», ce qui impliquerait, selon elle, une intervention des partis politiques. Le Syndicat des magistrats tunisiens (SMT), par contre, appelle clairement les membres du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) à participer à la première réunion du Conseil, laquelle, après une première tentative n'ayant pas recueilli le quorum des deux-tiers, est reportée au 29 décembre 2016, où le quorum est de 50% des membres. Pour le syndicat, il est essentiel d'éviter que la fin de la mission de l'Instance provisoire de l'ordre judiciaire ne crée un vide. Dans un communiqué diffusé mercredi, le syndicat impute la responsabilité de la situation actuelle du CSM à l'Instance provisoire de l'ordre judiciaire, qui, selon lui, n'aurait pas comblé, depuis le mois d'août, le seul poste resté vacant au sein de l'ordre judiciaire celui de procureur général de la République près la Cour de cassation. Le syndicat reproche également au président de l'Instance provisoire de n'avoir pas convoqué la première séance du CSM au bout d'un mois après la proclamation des résultats, comme prévu par la loi. Le syndicat estime, par ailleurs, que l'Instance provisoire «a présenté des candidatures à des postes importants à une période contestable après le parachèvement de la composition du CSM», ce qui constitue, à ses yeux, «une violation manifeste de la Constitution». Et le communiqué d'indiquer que «depuis la prestation de serment, le 14 décembre, par les membres du Conseil, l'Instance provisoire de l'ordre judiciaire n'a plus lieu d'être». Le CSM, qui représente incontestablement un des succès majeurs de la révolution tunisienne, matérialisant cet idéal d'indépendance de la justice auquel aspirent tant de peuples du monde, serait ainsi menacé par des luttes intestines parmi les magistrats. Des luttes qui, selon l'AMT, couvriraient le risque de voir l'exécutif remettre la main sur le pouvoir judiciaire. Sauf que d'autres magistrats soupçonnent l'AMT d'avoir ses visées propres sur le Conseil. Cet enjeu majeur de la République démocratique.