Le dollar américain traverse l'une des périodes les plus sombres de son histoire moderne. Sur les six premiers mois de 2025, la monnaie de référence mondiale a chuté de 10,8 %, sa plus forte baisse semestrielle depuis 1973. Cette contre-performance historique survient dans un contexte de forte instabilité économique et politique aux Etats-Unis, dominé par les décisions controversées du président Donald Trump, qui érodent la confiance des investisseurs dans les actifs américains. Cette baisse marquée de l'indice du dollar — qui mesure la valeur de la monnaie face à un panier de six devises majeures — a de profondes implications. Elle remet en question le statut de valeur refuge du dollar, affaiblit l'attractivité des bons du Trésor américain, et provoque un rééquilibrage global des flux d'investissement vers d'autres zones économiques jugées plus stables. Trump, dette, incertitude : les causes d'une dégringolade Le début de l'année 2025 a été marqué par une série de décisions politiques qui ont fait vaciller la confiance des marchés. En avril, l'administration Trump a imposé des droits de douane généralisés sur les importations de la plupart des pays, dans une tentative de protectionnisme économique radical. Ce choc tarifaire, qualifié de "jour de libération" par Trump, a immédiatement déstabilisé les marchés : plus de 5 000 milliards de dollars se sont évaporés de la capitalisation boursière du S&P 500 en seulement trois jours. Les bons du Trésor ont subi une vague de ventes massives, ce qui a mécaniquement fait grimper les taux d'intérêt et alourdi le coût de la dette publique. Face à la panique, le président américain a tenté de temporiser en annonçant un moratoire de 90 jours sur les nouveaux droits de douane — à l'exception notable de la Chine. Mais l'impact sur la perception des investisseurs était déjà durable : l'image d'un pays instable sur le plan fiscal et commercial commençait à s'installer. Autre point d'inquiétude majeur : le nouveau projet de loi fiscale de Donald Trump, qualifié par lui de "grand et magnifique". Ce texte, actuellement débattu au Congrès, vise à prolonger les baisses d'impôts mises en place en 2017, à réduire les dépenses sociales et à augmenter massivement les emprunts publics. Selon le Bureau du budget du Congrès, ce projet ajouterait 3 300 milliards de dollars à la dette fédérale d'ici 2034, portant le ratio dette/PIB à un niveau potentiellement supérieur à 130 %, contre 124 % actuellement. Dans ce contexte, les investisseurs étrangers — qui détiennent toujours 19 000 milliards de dollars d'actions américaines et 7 000 milliards de bons du Trésor — commencent à se détourner du marché américain. "Les actifs américains ne sont plus aussi sûrs qu'ils l'étaient autrefois", avertit Carsten Junius, chef économiste chez J. Safra Sarasin. L'agence Moody's a d'ailleurs abaissé en mai la note maximale de la dette américaine, signal d'alarme pour les marchés mondiaux. Une dépréciation aux effets globaux contrastés La faiblesse du dollar a des conséquences multiples à travers le monde. Du côté des marchés émergents, elle constitue une bouffée d'oxygène. La dette libellée en dollars devient moins coûteuse à rembourser, allégeant la pression sur des pays surendettés comme la Zambie, le Ghana ou le Pakistan. En parallèle, les prix des matières premières, souvent cotés en dollars, tendent à augmenter, ce qui profite aux pays exportateurs comme le Nigeria, l'Indonésie ou le Chili. Sur le marché des changes, l'euro s'est renforcé de 13 % depuis janvier, franchissant le seuil des 1,17 dollar. Les indices boursiers européens ont progressé, à l'image du Stoxx 600 qui a gagné 15 % depuis le début de l'année, soit 23 % une fois converti en dollars. Même aux Etats-Unis, cette situation pousse certains investisseurs à se tourner vers des placements à l'étranger. Le recul du billet vert a en effet rendu les actions étrangères plus attractives pour les portefeuilles américains. L'or, lui aussi, bat des records, porté par les achats des banques centrales qui cherchent à se protéger de la volatilité du dollar. Donald Trump, lui, reste droit dans ses bottes. Pour son conseiller économique Stephen Miran, "la force du dollar imposait un fardeau injustifié à nos entreprises et à nos travailleurs". Il justifie ainsi les mesures protectionnistes, estimant qu'une monnaie moins forte pourrait favoriser les exportations américaines. Mais les effets sont ambivalents : si une baisse du dollar rend les produits américains plus compétitifs, elle renchérit les importations et alimente les tensions inflationnistes. Malgré la baisse de l'inflation (de 3 % en janvier à 2,3 % en mai), la Réserve fédérale pourrait être contrainte d'intervenir à nouveau d'ici la fin de l'année. Deux à trois baisses de taux sont déjà anticipées par les marchés. Pour l'instant, la suprématie du dollar comme première monnaie de réserve mondiale (57 % des réserves selon le FMI) reste intacte. Mais le doute s'installe. La dynamique actuelle montre que même le roi dollar n'est plus à l'abri des turbulences.