• A l'instar du cinéma (années paires) et du théâtre (années impaires), Carthage aura ses journées musicales. A la différence qu'elles se tiendront tous les ans et sans la dimension africaine subsaharienne. Le festival de la chanson — ou de la musique — tunisienne est bel et bien enterré. Présentant beaucoup de failles, critiqué et décrié de partout, boudé par la majorité des artistes, il était devenu moribond au bout de ses quelques premières années. Tout ce qu'on a essayé de lui insuffler pour le réanimer, s'est avéré insuffisant, voire vain. Aussi, a-t-on décidé (courageusement, il faut le dire) de débrancher les machines et de ne plus maintenir en vie artificielle un vrai «cadavre». Mais la musique, aussi omniprésente dans nos festivals ramadanesques et d'été qu'elle soit, peut-elle rester sans sa manifestation spécifique propre? Dilemme. Après un moment de recul et un autre de réflexion, menée, à l'invitation du ministère de tutelle, par un groupe de spécialistes connus pour leur compétence et l'absence du facteur intérêt matériel dans leur vision, la réponse est tombée par la négative. La musique devrait avoir son festival, mais il était hors de question qu'il consiste, de nouveau, en une série de «âouada» (approximatif : gala), au bout desquelles les moins mauvais seraient récompensés. Aussi a-t-on proposé que tout le concept soit changé, à commencer par l'intitulé (désormais, journées musicales de Carthage) et par les compétitions, appelées à ne représenter qu'une petite composante de la manifestation. Voyons alors comment cette dernière va se présenter pour sa première édition qui se tiendra du 18 au 25 décembre prochain. Le nouveau et ses raisons Contrairement à ce qui a circulé comme rumeurs sur la place, la compétition du chant et des pièces instrumentales n'est pas ouverte aux pays arabes, mais seulement à ceux du Maghreb (Libye, Algérie, Maroc et Tunisie). Le taux de participation tunisienne sera d'au moins 50%. Tous les styles, courants, formes musicales et orientations sont admis. En d'autres termes, le «qacid» comme la «taqtouqa», le typiquement tunisien comme le morceau à souffle occidental, le traditionnel comme le moderne… tous les genres peuvent participer, à une seule condition : la qualité. Dans ce sens, un comité de sélection (tunisien, puisque le tri nécessitera un mois au moins), dont les membres compétents, de renom et au-dessus de tout soupçon, aura la lourde tâche de trancher, non seulement pour assurer un niveau certain à ces journées, mais également pour leur garantir un maximum d'éclat qui est, de fait, indispensable pour une première édition à laquelle d'autres doivent succéder. Et comme ce genre de manifestation a besoin de noms confirmés pour briller, nous pensons qu'un effort doit être consenti en faveur de leur présence. Et tant pis pour eux s'ils présentent du moyen et ne défendent pas leur réputation, car le jury, maghrébin et peut- être même arabe, ne recevra aucune recommandation et jugera des œuvres dans une ambiance de démocratie et de transparence. La troisième compétition, relative au «oûd» (luth) oriental, sera ouverte, elle, à tous les pays arabes. Kamel Ferjani, le directeur des journées, explique : «Cet instrument n'est pas vraiment le nôtre, il nous est venu de l'école syro-égyptienne et turque. Cela ne nous a pas empêchés d'y exceller et d'enfanter des maîtres comme Ali Sriti ou Ahmed Kalaï qui ont, eux-mêmes, formé de vrais virtuoses du luth oriental. Aussi, c'est sans crainte que nous avons conféré cette dimension arabe à la compétition, car je suis convaincu que nos luthistes, dont les jeunes, sont parmi les meilleurs, sinon les meilleurs». Le jury composé de spécialistes de pays arabes et musulmans (Turquie, par exemple) appréciera selon son âme et conscience. Quoi qu'il en soit, cette compétition constituera une occasion de rendre hommage et marquer une reconnaissance au grand et néanmoins modeste, que fut Sid'Ahmed Kalaï. En effet, tous les concurrents seront tenus d'exécuter une «lounga hijzaz kar kurdi» de sa composition. Invités et double rôle Mais comme la musique, en général, et la chanson, en particulier, ne sauraient évoluer sans les autres facteurs parallèles et d'accompagnement, à savoir les artisans, les critiques, les musicologues, les ingénieurs de son… différentes activités seront organisées, dont un colloque d'envergure internationale, des master-class et des stages dans des domaines variés (et pas seulement le luth), au moins une exposition de manuscrits rares et de textes-références. La majorité de ces activités seront animées par de grands noms tunisiens et arabes qui figureront, d'ailleurs, parmi, soit les invités d'honneur, soit les membres du jury. Leur présence, à côté de celle des journalistes, des communicateurs et des agents de spectacles arabes qu'on compte inviter, contribuera, à coup sûr, à faire connaître davantage la musique et les musiciens tunisiens, et surtout à les promouvoir au-delà de nos frontières, ce qui constitue l'un des objectifs essentiels du festival dans sa nouvelle version. D'après nos informations, Najet Attia aurait été sensible à cet argument et aurait l'intention de présenter une chanson de Lotfi Bouchnaq. Idem pour Hassan Dahmani qui chanterait Chokri Bouzaïane. En tout cas, les candidats aux compétitions ont jusqu'au 2 octobre prochain pour présenter leurs dossiers. Et nous en arrivons au grand volet festif de la manifestation où l'on prévoit d'investir plusieurs scènes (Théâtre municipal, Ibn-Rachiq, 4e Art, Centre culturel El Menzah VI…) pour des concerts, récitals et autres galas parallèles, toutes tendances et provenances confondues. Il y aura également des cafés-chantants dans le Vieux Tunis (du malouf, par exemple), des performances sur l'avenue Bourguiba (quatuor à cordes, solos de guitare ou d'accordéon, peut-être…). Une ambiance multicolore et multisonore qui égayera la capitale à dix jours du Nouvel an, à laquelle nous savons déjà que des artistes, comme l'Irakien Nassir Shamma et le TurcYelmaz Mohamed prendront part. Bel et bien, Tunis jouera, chantera et… dansera, pourquoi pas ?