Aymen Dabboussi trace un parallèle entre cet hôpital très singulier qu'il semble considérer comme le «vrai» monde réel et qu'ailleurs (dans la rue, au bureau, à la maison) ce n'est que d'un maquillage de la réalité qu'il s'agit. Pour étayer son propos, l'auteur s'enfonce en profondeur dans le fait de l'analyse psychiatrique, notant dans la foulée que les psychiatres sont désormais vus de manière plus bienveillante... question de nécessité et de valeur-refuge. Voici «Ici, il y a beaucoup de misérables (au sens de Victor Hugo) parmi ceux qui viennent à Al Razi, des gens qui ont faim, qui portent des habits en loques, des drogués, des gens fuyant l'enfer du travail, de la famille, du mariage... et de la folie !», atteste le narrateur. Il est psychiatre et travaille au Centre hospitalo-universitaire à vocation psychiatrique «Al Razi» à Tunis, et selon lui, si cet asile est naturellement voué aux cas de démence, il témoigne n'y avoir pas vu de déments... ou si peu d'entre eux ! Un endroit aliénant et déprimant ! L'auteur tente ainsi une nouvelle approche de l'aliénation en niant purement et simplement son existence à part quelques cas d'école. Déjà, il est servi par la vocation de l'institution car, construit sur le modèle pavillonnaire du Centre hospitalier Sainte-Anne à Paris, Al Razi, seul établissement de Tunisie consacré à la santé mentale, n'est pas uniquement un hôpital psychiatrique. On y voit toute la panoplie : un service de neurologie, un hôpital de jour pour malades atteints d'Alzheimer, une unité spécialisée dans l'autisme, un pôle de recherches en neurosciences... C'est tout autour que Aymen Dabboussi brode un roman singulièrement poignant autour d'un endroit où chacun d'entre nous pourrait se retrouver ou, du moins, retrouver beaucoup de gens de son entourage. Faut-il rappeler que depuis la révolution, le nombre des Tunisiens déprimés est en hausse (+25%) alors que se multiplient les décompensations, les dépressions, les états de stress post-traumatique, les syndromes de nouveaux prophètes... Dans ce vivier immense, Aymen Dabboussi puise des personnages très haut en couleur, allant comme des gants à ce qu'il appelle «un endroit aliénant et déprimant !» et nous laissant ouvertement perplexes quant à l'incommensurable bonne volonté que les praticiens doivent développer pour aider ces cas torrides, à vous remplir de tristesse, à vous inciter à donner tout ce que vous avez sur vous pour aider, à vous dévouer... car cet «endroit aliénant et déprimant» finit-il par éroder la résilience de ces praticiens qui deviennent de plus en plus capitaux pour l'équilibre de ces populations qui, partout dans le monde, sont sous stress perpétuel ? Eloge des compromis Portant la logique du parallèle à son paroxysme, Aymen Dabboussi décrit cet hôpital très singulier comme une simple expression de notre vie de tous les jours, juste un peu plus dénué de compromis. Ce qui revient à dire pour lui, c'est qu'ici (dans l'asile) c'est le «vrai» monde réel et qu'ailleurs (dans la rue) ce n'est que d'un maquillage de la réalité qu'il s'agit. Pour étayer son propos, l'auteur s'enfonce en profondeur dans le fait de l'analyse psychiatrique, notant dans la foulée que les psychiatres sont désormais vus de manière plus bienveillante... question de nécessité et de valeur-refuge. Un ouvrage particulièrement attachant où l'on se retrouve rapidement à soutenir l'auteur dans son effort évident de déstigmatiser la psychiatrie et de prouver (comme on le ferait pour vérifier un théorème) que si le côté ouvert de Al Razi contribue amplement à son ‘'adoption'', il reste que le fait que l'établissement travaille en situation de pénurie appelle à une grande attention si on souhaite vraiment qu'il fasse office de dernier recours. L'épisode de l'odeur nauséabonde a tout dit dans ce sens. Pourtant, au fil des pages, c'est autre chose que l'auteur défend. Parfois entre les lignes, parfois sautant aux yeux, il nous susurre que la déprime qui menace chacun d'entre nous peut être une chance, une étape de remise en question capable de nous aider à reprendre pied et à progresser. Les chroniques de Razi, 1999p., mouture arabe Par Aymen Dabboussi Editions Aljamal, 2017. Disponible à la librairie Al Kitab, Tunis.