La jeune fille et la mort, mise en scène de Hela Ayed, ouvre les rencontres avec une proposition pertinente et une interprétation convaincante qui collent à l'actualité tunisienne... La jeune fille et la mort d'Ariel Dorfman est peut-être une des pièces les plus jouées au théâtre, c'est une œuvre qui a aussi marqué les esprits grâce à sa version cinématographique signée Roman Polanski. Et c'est avec un grand plaisir et beaucoup de curiosité qu'on la découvre de nouveau du point de vue de Hela Ayed, étudiante à El Teatro Studio et qui a tenté, avec cette œuvre, sa première mise en scène, qui a fait l'ouverture des rencontres «L'avant-première des arts de la scène» mercredi dernier à El Teatro. Le dramaturge chilien Ariel Dorfman, rescapé du régime de Pinochet, retrace un pan de l'histoire contemporaine du Chili du temps de la dictature à travers la rencontre d'un trio dans un huis clos. Une pièce en trois actes qui se déroule à la fin du XXe siècle, dans un pays d'Amérique du Sud qui vit encore le traumatisme d'une dictature récente, le président de la jeune démocratie a décidé de mettre en place une commission d'enquête sur les crimes passés, qui devrait être présidée par un avocat célèbre : le soir de cette nomination, l'avocat crève un pneu en rentrant chez lui. Un médecin vient à son secours et le ramène chez lui, où sa femme l'attend. Celle-ci, torturée par la police secrète de l'ancien régime, croit reconnaître dans la voix de l'invité celle d'un de ses bourreaux. La jeune fille et la mort est aussi le nom d'une œuvre de Franz Schubert, un quatuor à cordes que le tortionnaire aimait à écouter pendant son travail, et l'héroïne tentera de lutter contre le souvenir tragique qui y est associé. Le travail réalisé par Hela Ayed, qui campe aussi le rôle de la jeune femme, est resté intimement lié au texte original. D'ailleurs, on ne voit pas la nécessité de changer certains faits tant le texte original est d'une lucidité et d'une vivacité qui collent parfaitement à l'actualité tunisienne. Les audiences d'écoute de l'Instance Vérité et Dignité que nous vivons actuellement et les récits des victimes retracent les mêmes faits vécus par le personnage de la jeune femme. Le personnage de Nour Salem se multiplie devant nos yeux à volonté et les mots qui sortent de sa bouche sont d'un naturel poignant. La composition de ce trio infernal de la victime, le tortionnaire et de l'homme de loi transparaît sur les thématiques évoquées : la dualité sexe-violence, instinct de mort-instinct de survie, justice-pardon-vengeance... ce sont des thèmes qui relèvent parfois de l'absurde lorsqu'on est face à son tortionnaire, à celui qui se délecte en faisant mal et accompagne son festin macabre du délicat quatuor de Schubert... Quel sens prendrait alors la justice si elle doit être accompagnée de pardon et de réconciliation ? Qui est bourreau ? Qui est victime ? Et de quelle manière la justice devrait être faite ? Tant de questionnements que soulève la pièce et que le travail de Hela Ayed, Abdelhamid Bouchnaq et Skander Zhani restitue sans fioriture, sans excès et sans forcer le trait... une belle et délicate manière de se faire sa propre version, sa lecture personnelle et de se placer dans la pertinence du sujet mais aussi de l'approche théâtrale.