«La Maison de Bernarda Alba», dernière œuvre du dramaturge espagnol Federico Garcia Lorca (1898-1936), adaptée par Sihem Koutini et Jean-Luc Garcia et présentée vendredi dernier à El Teatro à Tunis. Nous avons déjà pu apprécier les touches de Sihem Koutini joliment assemblées à celles de Jean-Luc Garcia dans de nombreuses mises en scène de pièces en langue française présentées à El Teatro (Femmes, Caillasses, etc.). Cette fois-ci, le duo reprend une pièce classique, la dernière œuvre de Federico García Lorca, écrite en 1936 et publiée de façon posthume en 1945. Et «Garcia Lorca ne verra jamais sa pièce : deux mois après l'avoir achevée il est exécuté à la va-vite, dans la campagne de Grenade, par les franquistes. Il faut garder ce contexte-là en mémoire, qui ajoute encore à cette terrible tragédie de femmes. Car la pièce n'a pas vieilli d'un mot. C'est l'Espagne qui a changé. Comme nos autres sociétés européennes dont certaines n'étaient guère éloignées de cet obscurantisme». Il s'agit, comme la majorité des pièces, d'ailleurs, qui ont été mises en scène par Jean-Luc Garcia, d'une pièce portée par un casting entièrement féminin, d'autant plus qu'il est beaucoup question de la condition de la femme dans l'Espagne du début du XXe siècle. Les rideaux se lèvent sur la «Maison de Bernarda Alba», où une sensation macabre et lourde règne et pèse sur le lieu. Après la mort du second mari de Bernarda Alba, celle-ci impose à sa famille un deuil de huit ans ainsi que l'isolement à ses filles, comme l'exige la tradition andalouse dans les années 30. Soucieuse des apparences et du qu'en-dira-t-on, «ce que je veux, c'est que le front de ma maison soit lisse, et la paix dans ma famille», elle définit pour ses cinq filles, âgées de 20 à 40 ans, les règles d'une société où la femme est discriminée, d'un monde où morale et traditions font loi, dominé par un sexe «fort» auquel on autorise tout. «Naître femme est la pire des punitions», déclare Amelia, l'une des filles. C'est à ce moment-là que cette mère impitoyable a décidé de marier sa fille aînée, la plus riche et la moins belle de ses sœurs, Angustias. Pepe le Romano, qu'on ne voit jamais, a été accepté par la mère. Cependant, on apprend qu'après avoir courtisé sa «promise», le séducteur rejoint chaque soir la petite sœur, une jeune fille belle et vivante. La jalousie s'en mêle, une de ses sœurs la dénonce. La mère chasse le séducteur et la jeune fille se suicide. C'est autour de ce jeune homme, dont toutes parlent mais qu'on ne voit jamais, cet obscur objet du désir, symbole de la passion et de la révolte, que «La maison de Bernarda Alba» donne à voir, sous la forme d'un huis clos, la violence d'une société rigide et intolérable guidée par les vieilles mœurs et la religion. Grace à un jeu dramatique juste, des dialogues denses et intenses et une interprétation convaincante des comédiennes amatrices — Mouna Akrout, Rim Ayed, Selma Triki Fourati, Emna Triki, Sellami, Nora Djerai, Zeineb Fourati, Zohra Sellami, Boutheina Ferchiou, Rim Ben Amor et Hela Kaddour Fourati — nous avons pu admirer ce huis clos dramatique qui a su traiter admirablement de la condition féminine, du désir, de la liberté, des préjugés, de la transgression, etc. A travers une œuvre classique, «La Maison de Bernarda Alba», on repense un sujet étonnamment contemporain : d'une part, le drame, qui se noue dans un cadre rural, proposant exclusivement des portraits de femmes ; d'autre part, le carcan familial représentant, de façon emblématique, un monde de plus en plus aveuglé par les traditions et les idéologies autoritaristes.