A première vue, « Dhamir Hay » (Conscience vivante), la nouvelle création de Alaeddinne Ayoub d'après une idée de l'auteur polonais Slavomir Mrozak, parait ludique presqu'on dirait une pièce pour enfants. Un homme et une femme chez eux. Lui s'amuse avec des marionnettes animales et elle avec des pelotes de laine. Les tâtonnements de ce début vont laisser place à une pièce de dimension humaine profonde. Au fur et à mesure que se déroule l'histoire on découvre le côté transversal de l'œuvre. Sur un fond de tension politique et syndicale, « Khayekh » (Mohamed Fawzi Labène) dénonce son ami Youssef (Mohamed Yangui) qui se retrouve en prison. Il parait vraisemblablement que les motifs de cette dénonciation sont la rivalité et la jalousie. Mais la raison essentielle est la passion que voue Khayekh à Narjess (Samah Toukabri), la femme de Youssef. Le sentiment de culpabilité ronge Khayekh. Sa conscience (Mohamed Yangui) l'oblige à faire des aveux sur son comportement odieux à son épouse Selma (Hela Azizi) et de lui présenter ses excuses.
Youssef quitte la prison. Khayekh se rend chez lui pour se faire pardonner de ses actes. Mais il le retrouve fragilisé par la maladie. Il traîne sur une chaise roulante. Khayekh se sent encore plus coupable. D'autant plus que Youssef lui demande de l'aider à se suicider et de s'occuper de sa femme après sa mort. Khayekh est choqué par cette demande et ne sait pas ce qu'il doit faire. Sa santé mentale et physique se détériore à son tour. La mort surprend les deux hommes et c'est Selma qui prend en charge Narjess et l'aide à devenir comédienne.
Alaeddine Ayoub, qui signe la mise en scène et la scénographie, donne à la pièce une dimension dramatique forte en représentant la conscience par le personnage de Youssef, vêtu tout de blanc, torturant Khayekh et le contraignant à avouer la vérité de ses actes. On est face à un drame où la conscience est mise à nu. Car au-delà des aveux à la justice, il y a une part cachée qui apparait avec le temps. Youssef a payé une faute qu'il n'a pas commise. Il est victime de la jalousie de celui qu'il croit être son ami.
Malgré la trahison, Youssef n'a pas rompu son amitié avec Khayekh puisqu'il lui confie sa femme après sa mort pour qu'il veille sur elle. Selma lui fait payer sa faute en lui faisant avaler de l'arsenic et se libère enfin d'un époux encombrant et malsain. Désormais, elle peut pratiquer sa passion avec Narjess : le théâtre. Le metteur en scène veut-il dire que l'art sauve les gens de la médiocrité et de la folie destructrice ? En tout cas, c'est ce que suggère la pièce.
Les quatre comédiens jouent ce beau drame avec beaucoup de discernement. Mohamed Fawzi Labène incarne un homme tourmenté par sa conscience. Il est tout au long de la pièce agité. Mohamed Yangui dans le rôle de Youssef est plus contenu. Hela Azizi, Selma l'épouse de Khayekh est telle une sage Pénélope qui tricote en attendant d'entrer à son tour dans le jeu horrible de la mort. Tandis que Samah Toukabri, Narjess propose un jeu tout en nuance. Le bien contre le mal, la vie contre la mort, l'aveu, l'éveil de la conscience autant de questions qui s'inscrivent dans l'actualité de la Tunisie postrévolutionnaire. Une pièce qui fait tourner les têtes et les consciences.