Pour fêter l'Indépendance, il y a maintenant 61 ans, le mouvement Machrou Tounès a tenu, hier matin, une conférence au Palais des Congrès à Tunis sur « la réconciliation nationale globale », à laquelle ont été conviés les partis politiques qui se sont alignés derrière l'initiative de Béji Caid Essebsi, celle de toutes les controverses qui n'a pas manqué, l'été 2015, de déchaîner la colère de l'opposition. Des coups de gueule médiatiques et de multiples marches de protestation avaient sévi, alors, partout dans le pays et n'ont pas réussi à la faire oublier pour un temps. Ces derniers jours, les démons de la propagande se réveillent. Et les prétendants défenseurs de l'union nationale contre la vindicte publique semblent, eux aussi, revenir à la charge. A l'intérieur de la grande salle du palais des congrès, des banderoles sont placardées sur lesquelles on peut lire autant de slogans qui corroborent l'idée de la réconciliation, en tant que gage de l'indépendance de la patrie, clé de voûte du développement et comme un modèle de transition prouvé. D'emblée, le coordinateur de la conférence, M. Mohamed Chokri Ben Abda, a inscrit l'évènement dans la foulée des festivités commémoratives de l'Indépendance, une page lumineuse de l'histoire de la Tunisie moderne qui se ressource des valeurs et constantes de l'unité populaire soudée et tire les leçons du grand combat du mouvement de libération nationale. « Ô combien on a, plus que jamais, besoin d'une vraie réconciliation qui soit fondatrice d'une nouvelle étape future, consciente de tous les défis qui se posent, loin des slogans creux », espère-t-il. Marzouk se veut le nouveau réconciliateur Et d'ajouter qu'il nous faut une réconciliation qui réunit et ne divise pas, qui prépare l'avenir et demeure un soutien à la transition démocratique et à la stabilité socioéconomique. L'ancien bâtonnier des avocats tunisiens, Me Mohamed Fadhel Mahfoudh, membre du mouvement Machrou Tounès et président de la manifestation, était du même tempo. Abondant dans le même sens, il a fait savoir que l'idée émane du bureau exécutif du mouvement, sur recommandation de son conseil central. « A ce moment-là, je me suis demandé ce que peut apporter la réconciliation en rapport avec le processus de transition démocratique », se rappelle-t-il. Et d'enchaîner pour s'arrêter sur le Prix Nobel de la paix décerné au Quartette du dialogue national en 2015, évoquant, par là même, le lien sémantique entre la justice transitionnelle et la paix. « Cette dialectique n'est guère arbitraire.. », soutient-il, en déduisant que le peuple tunisien est un peuple tolérant vivant sur une terre de paix. Mais, cela n'exclut pas la reddition de comptes. Sauf que, déplore-t-il, le processus de la justice transitionnelle demeure toujours inachevé, ayant subi moult soubresauts. Faut-il toujours s'interroger ainsi : la justice transitionnelle est-elle sur la bonne voie ? Son processus ne mérite-t-il pas d'être rectifié ? Pour le secrétaire général de Machrou Tounès, Mohsen Marzouk, il est temps que tout change. Cette question a été aussi posée, au lendemain de la révolution, alors qu'il était membre actif au centre « Al Kawakibi pour les transitions démocratiques ». A cette époque, s'est-il encore souvenu, l'on a mis en avant les expériences comparées en la matière. Et là, l'homme se réfère à deux registres d'analyse, l'un politico-historique et l'autre éthique. L'essentiel, à ses yeux, est de devoir relire l'histoire, à même de replacer la justice transitionnelle dans la continuité du fameux projet de société tel qu'instauré depuis l'indépendance. « La justice transitionnelle n'est pas juridique, elle est plutôt politique, et dont les solutions ne sont que politiques », affirme-t-il, soulignant que l'objectif est que le scénario des crimes et des violations ne se répète plus. « C'est un processus qui doit soulager les douleurs et ne pas remuer le couteau dans la plaie », prêche-t-il. Selon lui, tout le processus post 14 janvier 2011 était arbitraire, donnant, ici, l'exemple de l'amnistie générale telle qu'adoptée sous le gouvernement Mohamed Ghannouchi aux premiers jours de la révolution. « La justice était, elle aussi, à deux vitesses.. Ce qui nous a laissé face à un état de dysfonctionnement», juge-t-il. M. Pour être clair, M. Marzouk témoigne des expériences comparées au niveau de la réconciliation faite au Maroc, au Chili et en Afrique du Sud, où Nelson Mandela avait donné le ton d'un homme fort conciliant et bon réconciliateur. A contrario, rétorque-t-il, la justice transitionnelle à la tunisienne ne relève pas de l'éthique. « On est dans l'aberration totale », estime-t-il. Mea culpa et confession de foi Il précise : «La date du 1er juin ou celle de juillet 1955 n'a pas de sens, en termes d'intervalle du temps couvert par la justice transitionnelle. Bien plus, que signifie victime et bourreau ? Mais, une chose est sûre : la vérité, la justice et la réconciliation. Cela dit, par ricochet, oui à la reddition de compte, non à l'impunité ». Il est temps de rectifier le tir et renouer avec une réconciliation nationale globale, dans le sens où l'on doit tenir compte du mouvement national tunisien. « On considère cela comme une solution profitable à tous, surtout qu'on est près d'engager les prochaines échéances politiques », recommande-t-il, évoquant qu'il ne compte pas se porter candidat à la présidentielle 2019. « Je demande aux partis représentés à l'ARP de voter pour le projet de loi portant sur la réconciliation », plaide-t-il, appelant à la création d'une instance de réconciliation nationale regroupant tous les partis politiques et toutes les forces vives de la société. Et de conclure, en annonçant qu'il reviendra à cette question, sous l'angle des expériences comparées dans le domaine de la justice transitionnelle. De son côté, M. Mohamed Kilani, secrétaire général du Parti socialiste, n'a pas eu à ajouter à ce qui a été dit. Sauf qu'il va dans le sens que réconciliation nationale et justice transitionnelle ne sont pas incompatibles, les deux vont de pair. Mais, selon lui, l'initiative de l'IVD semble truffée de tous les dangers, sur fond de surenchères et de chantage politique. «L'on ne croit pas que l'Instance vérité et dignité a franchi un pas important à ce niveau, vu qu'elle a été confrontée à des conflits d'intérêts », estime-t-il. Aujourd'hui, ajoute-t-il, on cherche à hisser le processus de la justice transitionnelle tant au niveau de l'éthique que du politique. Sans pour autant rompre avec le passé. « Tout crime commis doit être puni.. », conclut-il. Quant à M. Mohamed Jegham, secrétaire général du parti Al Watan Al Mouwahed (la patrie unie), il se veut l'homme revenant de loin, tendant la main à tout esprit réconciliateur. « J'ai eu la chance d'être parmi vous, alors que j'étais l'une des figures politiques sous l'ancien régime. Merci Marzouk, merci Machrou Tounès », reconnaît-il, faisant son mea culpa politique. A son avis, révolution, soulèvement ou coup d'Etat, le 14 janvier 2011 était un véritable tournant, où le régime de Ben Ali, l'homme-parti ou le parti-Etat, fut déchu. Maintenant, révèle-t-il, il importe de conjuguer les efforts et d'adopter la réconciliation nationale pour passer à l'autre étape, celle de l'édification et de la restauration. « On a besoin de nous tous, du nord, du sud, de toutes les régions sans exclusion », conclut-t-il.