Par Samira DAMI Récit autobiographique, «La légende vivante de Djerba», de Jean-Jacques Ciscardi, narre, avec éloquence, l'histoire passionnante d'un petit garçon, français d'origine italienne surnommé Jeannot. Né dans le Sud tunisien, Jeannot passe son enfance à Djerba où son père est gardien de phare dans les années 40. Dans «l'île de rêves», il devient une légende rien que pour avoir été à l'école à dos d'âne : du phare de Borj-Djellidj où il habitait avec ses parents et sa sœur, Thérèse, six ans, il faisait, chaque jour, jusqu'à Mellita, six km pour arriver à l'école et autant pour retourner chez lui. Que ce soit sous la pluie, sous le vent ou sous un soleil tapant, assis sur sa monture, il profitait pour apprendre et réviser ses leçons. C'est, donc, l'histoire d'un petit «Français tunisien» dont la légende a traversé le temps, puisque ses anciens amis écoliers et tous ceux qui l'ont connu alors, quand il avait 6 ans, au début des années 40, se souviennent, encore aujourd'hui, de cette scène frappante devenue légendaire car, écrit l'auteur : «De mémoire d'homme et d'enfant, jamais personne n'avait vu un petit Français à dos d'âne dans le village de Mellita et probablement dans l'île». Voilà qui déclenchait l'hilarité générale et faisait l'événement dans l'île. Précoce, drôle, ingénieux et amoureux de la nature et de la musique, Jeannot a croqué la vie à pleines dents. Son enfance, son adolescence, et sa jeunesse ont été truffées de situations cocasses, d'aventures dangereuses, d'anecdotes pittoresques, de rêves, de rêveries et d'amours tumultueuses. Hymne à la mer et à la musique Dès sa tendre enfance, Jeannot s'adonnait à ses deux passions: la pêche et la musique. Il jouait de plusieurs instruments : la guitare, le piano, l'accordéon et même de la trompette. Il suscitait, tel un petit animal, la curiosité de tous, les amis de ses parents, et ses petits camarades qui l'appréciaient et à chaque fois qu'il se produisait devant eux, le considérant comme une vedette. Il a joué, malgré son jeune âge, dans plusieurs orchestres à l'occasion de fêtes privées, de bals au lycée et dans l'armée française où il a accompli son service militaire à l'âge de 17 ans. Il jouait d'oreille des airs à la mode en ce temps-là. Dès l'âge de 13 ans, il quitte ses études et affronte la vie en commençant à travailler à Djerba, par sa seule volonté, jamais contraint : tenancier d'un magasin, préparateur dans une pharmacie, responsable du parc automobile dans la société nord-africaine de pétrole, projectionniste dans une salle de cinéma à Sfax pour revenir après à ses premières amours : la musique. En tant que guitariste, il entame une tournée, dans le Sud tunisien, avec le célèbre magicien tunisien, Kassagi, avant de fonder l'orchestre «J5» à Sfax. De l'enfance à l'adolescence, «Jeannot a vu défiler, à une allure vertigineuse, une partie de sa vie. Et malgré son jeune âge il a vécu cinq ans d'aventures amoureuses et sentimentales passionnées et tumultueuses, mais il a également vécu plusieurs aventures quand il faisait son service militaire. Lors d'une mission il a frôlé la mort avec deux de ses copains de l'armée. Ils étaient en voiture, seuls sur la route de Médenine, quand des Fellagas, armés jusqu'aux dents, surgis de nulle part, lui ont barré le chemin. Ce qui le sauva, lui et ses compagnons tremblant comme des feuilles, c'est sa maîtrise du dialecte tunisien. C'est que Jeannot est un «Français de Tunisie» et non un «Français de France». Plus, sa connaissance d'un verset, le seul, du Coran qu'il débita d'un trait, à la demande du chef fallaga, fit libérer la route devant lui et ses copains. Après l'indépendance, Jeannot et ses parents quitteront la Tunisie, il avait 21 ans. Pourtant, Bourguiba avait, alors, visité le phare de Borj-Djellidj, passant un long moment à bavarder, dans le salon, avec tous les membres de la famille Ciscardi leur assurant qu'ils pouvaient rester le temps qu'ils voudront en Tunisie et que nul ne les en chasserait. Mais, plus tard, le nouveau gouvernement a demandé à leur père de choisir un pays ou l'autre. Sa famille choisit de partir et, pour, la premières fois, Jeannot découvrit la France où il touchera à tous les arts : la musique, la composition, la chanson, la peinture, le cinéma en tant que scénariste, l'écriture. 25 ans après, il retourna à son île à laquelle il voue un amour incommensurable et où il vit désormais. Dans ce roman biographique où tous les faits sont authentiques, l'auteur s'est braqué sur plusieurs épisodes de son itinéraire de self-made-man, mais aussi sur la beauté et la singularité de l'île des lotophages qui se décline tel un personnage tout aussi central que celui de l'auteur. Hymne à l'île de rêves, le livre décrit avec force détails sous tous ses aspects : la beauté et la richesse de la nature, la mer essentiellement, les villages de Mellita et Houmt-Souk, les traditions et rites culturels, les relations bienveillantes et chaleureuses avec les habitants de l'île. Du roman se dégage une atmosphère d'une vie simple à la fois rude et douce à l'époque où la Tunisie était un pays cosmopolite où coexistaient, dans les années 40 et 50, plusieurs nationalités et religions : Tunisiens musulmans et juifs, Italiens, Maltais, Grecs, «Français de Tunisie» et «Français de France». Coexistence, amitié, convivialité et tolérance sous-tendent ce voyage, dans le passé, aussi prenant que nostalgique. ———— Arabesques-éditions. 219 pages