Par Abdelhamid Gmati Il est évident que depuis 6 ans, on proteste, on revendique, on manifeste, on se met en grève. Certes, l'un des paradoxes de la révolution tunisienne est que pratiquement rien n'a changé, avec une persistance des inégalités sociales, des disparités régionales et même l'aggravation du chômage et la baisse du pouvoir d'achat du citoyen. On comprend alors que les mouvements sociaux se multiplient. Au mois de mars dernier, selon l'Observatoire social tunisien relevant du forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, les protestations sociales individuelles et collectives ont évolué, atteignant 1.089 mouvements contre 949 au mois de février 2017. Pratiquement toutes les régions ont été concernées. Ces dernières semaines, Le Kef et Tataouine ont été particulièrement en effervescence. Kairouan a suivi ces derniers jours. Les revendications légitimes ont toujours trait au chômage, au développement, à la détérioration de la situation générale, au sentiment de marginalisation. Le gouvernement a, comme d'habitude, réagi en dépêchant sur place des délégations afin d'éteindre les « incendies ». Youssef Chahed, chef du gouvernement, estime que « le gouvernement fait, certes, office de sapeur-pompier mais s'emploie, aussi, à remédier rapidement et urgemment aux problèmes qui agitent les Tunisiens, notamment les couches défavorisées et la classe moyenne». Une dizaine de mesures ont été prises concernant Tataouine pour remédier à la situation. Comme cela a été fait pour Le Kef et d'autres régions. Cependant, ni les délégations ministérielles dépêchées sur place, ni les mesures annoncées n'ont réussi à calmer les esprits. Et les manifestations ont repris de plus belle avec une grève générale, mardi dernier, à Tataouine. Mais il n'y a pas que les régions qui s'enflamment les unes après les autres sur fond de revendications socioéconomiques. Les enseignants et chercheurs universitaires observent aujourd'hui et demain une grève générale pour dénoncer ce qu'ils appellent une politique d'exclusion à leur encontre. Les commerçants du prêt-à-porter se mettent aussi en grève. Et le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) menace de décréter une grève générale dans le secteur des médias face à la poursuite des violations commises contre les journalistes et les tentatives de mainmise sur les médias. Le Centre pour la sécurité du travail au sein du Syndicat national des journalistes tunisiens révèle que vingt agressions ont été enregistrées durant le mois de mars 2017 visant quarante et un individus travaillant dans le secteur des médias. « Ces violations ont concerné 7 journalistes femmes, 34 hommes exerçant dans huit chaînes de télévision, onze radios, quatre journaux et un site électronique ». Et il faudra s'attendre à d'autres grèves d'ici quelques jours, notamment celle annoncée, pour le 15 avril, par les syndicats de l'enseignement secondaire qui n'exige rien de moins que le limogeage du ministre de l'Education. Certes, il est clair que le gouvernement n'est pas soutenu par les partis au pouvoir. Mieux, certains, comme Ennahdha, disent « comprendre ces protestations et soutenir le droit des jeunes de la région à la priorité du travail dans les compagnies installées dans la zone ». Et ils appellent le gouvernement à accélérer le dialogue avec ces jeunes afin de parvenir assez rapidement à satisfaire leurs revendications. De son côté, le bureau exécutif de l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt) « soutient les mouvements de protestation dans les différentes régions du pays, notamment Le Kef et Tataouine ». Il n'en reste pas moins que pour certains observateurs, tous ces mouvements, pratiquement, ininterrompus et qui surviennent dans différentes régions ne sauraient être fortuits et sont encouragés, voire attisés, par certaines parties appelant à une « autre révolution ». Le secrétaire général de l'Ugtt a parlé, dernièrement, de « ces bandes de contrebandiers qui ont mis à profit l'absence de l'Etat dans ces régions pour s'y substituer. Il n'est pas exclu qu'ils soient derrière cette contestation ». On apprend qu'une formation militaire a intercepté, mardi dernier, sept voitures de contrebande échangeant des marchandises aux frontières tuniso-libyennes au niveau de la région de Bir Ezzar dans la zone militaire tampon à Remada. Des coups de feu ont été échangés entre l'armée nationale et des individus armés accompagnant les contrebandiers avant que les voitures ne reprennent le chemin vers le territoire libyen en laissant derrière aux 16 mille boîtes de tabac pour narguilé et 39.500 paquets de cigarettes. En attendant, le « feu » persiste et risque de s'étendre.