En parallèle avec la consultation menée par le ministère chargé des relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et les droits de l'Homme à propos de la nouvelle loi sur la Haica, l'Association vigilance pour la démocratie et l'Etat de droit a initié une réflexion sur l'avenir de la régulation audiovisuelle. Ses premiers constats entraînent craintes et inquiétudes «Comment consolider le cadre juridique des médias audiovisuels ?». C'est sur ce thème qui agite l'actualité de ces jours-ci, avec, d'une part, la guerre déclarée entre la chaîne Nessma et la Haica et, d'autre part la consultation lancée par le ministère chargé des relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et les droits de l'Homme à propos de la nouvelle loi sur la Haica, que l'Association vigilance pour la démocratie et l'Etat civil a organisé une conférence samedi dernier à la faculté de Droit de Sousse. Les juristes qui ont pris part à la rencontre n'ont pas caché leur suspicion par rapport à un projet de loi sur la nouvelle instance constitutionnelle de régulation du secteur audiovisuel, qui vide cette structure de la plupart de ses prérogatives. En fait, le gouvernement propose, pour remplacer le décret-loi 116, deux projets de loi : le premier porte sur la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle, et le second sur la loi régissant le secteur audiovisuel. Départager cette législation en deux parties intrigue Mustapha Ben Letaïef, professeur de droit, ancien membre de la commission d'experts de l'Instance Ben Achour et ex P.-d.g. de la télévision nationale. Plus aucune trace de l'avis conforme «Pourquoi avoir saucissonné la loi sur les médias audiovisuels, alors que la tendance mondiale actuelle est à l'unification des textes de loi dans un souci de cohérence et dans l'objectif de simplifier leur lecture et leur interprétation ?», s'interroge Mustapha Ben Letaïef. «On a l'impression que ce texte bâclé, et qui confond entre régulation et organisation, a été conçu dans l'urgence. Plus grave encore, il ne garantit pas l'indépendance des médias publics puisque l'avis conforme de la Haica pour la désignation des P.-d.g. de la télévision et de la radio nationales est supprimé », se désole le professeur de droit. Mustapha Ben Letaïf s'inquiète du rythme saccadé des consultations organisées par le ministère chargé des relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et les droits de l'Homme autour de ce projet : «On veut le transmettre à l'ARP avant l'été pour que la nouvelle autorité, démunie de la plupart de ses prérogatives, soit fonctionnelle au moment des élections municipales. Que fera-t-elle alors face aux abus possibles ? Rien du tout», accuse-t-il. Les pouvoirs de sanction et de réglementation évacués Rachida Enneïfer, professeur de droit et ancien membre de la Haica, partage les mêmes doutes que Mustapha Ben Letaïf. Dans son intervention, la juriste a insisté sur le rôle majeur des médias publics «gardien du temple de la démocratie et du vivre-ensemble» et sur l'importance de leur autonomie vis-à-vis du pouvoir. Elle a également démontré à quel point le nouveau projet constituait une régression par rapport au décret-loi 116 relatif à la régulation de l'audiovisuel, publié en novembre 2011, à la suite d'un long travail élaboré par des experts tunisiens en référence aux standards internationaux en matière de déontologie et de régulation. «Le projet a évacué toutes les sanctions énoncées dans le décret loi de 2011, y compris les dépassements commis par les entreprises audiovisuelles pendant les campagnes électorales, se contentant de renvoyer aux dispositions du décret-loi partiellement abrogé. On a également restreint le pouvoir réglementaire de la Haica, dans la mesure où le projet parle d'élaboration par la haute autorité de textes de lois et non pas de leur adoption. D'autre part, le choix de désignation des membres de la Haica par le Parlement peut entraîner des risques sérieux d'une mainmise de la majorité en place sur l'instance». La juriste déduit de toutes ces restrictions des prérogatives de l'instance de régulation : «On veut transformer la Haica en une structure purement consultative. Ce qui représente une condamnation à mort de la régulation !».