La brouille entre Ryad et le Caire avait été très remarquée en son temps et exprimait des options diplomatiques clairement divergentes : les retrouvailles n'en suscitent pas moins des questions... Entre l'Egypte et l'Arabie Saoudite, ce n'était pas la lune de miel jusqu'à il y a peu. Mais c'est fini. Et c'est important pour nous de le savoir car le rapprochement diplomatique de ces deux pays ne peut tout simplement pas être un fait mineur sur la scène régionale. Surtout pas en cette période où trois grands dossiers sont sur la table de la communauté internationale et de ses instances juridiques : le dossier israélo-palestinien, le dossier syrien et le dossier libyen. Sur ces trois questions, la Ligue des Etats arabes est un acteur de premier ordre et, dans le même temps, on ne peut concevoir un rôle manifeste de cette organisation tant que des dissensions existent entre certains de ses membres. C'est tout particulièrement le cas du couple Egypte-Arabie Saoudite. Le peu d'écho qu'a eu la réunion de Nouakchott en juillet 2016, on s'en souvient, a illustré cette vérité, en pleine crise dans la relation égypto-saoudienne : ce sommet de la Ligue arabe avait été qualifié en son temps de «non-événement». Le réchauffement auquel on assiste avait déjà été observé lors de la dernière rencontre de la Ligue arabe, organisée par la Jordanie dans la petite ville touristique de Sweimeh, sur les rives de la mer Morte, il y a de cela à peu près un mois : le 29 mars dernier. Il avait été précédé par la reprise des livraisons de produits pétroliers par la compagnie saoudienne Aramco, qui les avait interrompues brutalement en octobre 2016. Mais ce réchauffement a été cependant tout à fait consacré avec la dernière visite du président égyptien à Ryad, dimanche dernier, où il a été reçu en grandes pompes par le roi Salmane. Une politique pro-russe Les sujets qui fâchent, il en existe quelques uns entre les deux pays. On a beaucoup parlé de l'affaire des deux petites îles de la mer Rouge, Tiran et Sanafir. Le gouvernement égyptien avait accepté en avril 2016 de les «rétrocéder» à l'Arabie Saoudite, conformément à un accord qui avait été signé. Mais cette initiative avait été perçue par les Egyptiens comme le résultat d'un marchandage dont la contrepartie était une aide financière et des projets de développement. Beaucoup de voix s'étaient alors élevées pour contester les prétentions du voisin saoudien sur ces îles et pour rappeler aussi que la terre de la patrie n'était pas à vendre. Finalement, c'est la justice égyptienne qui, en juin dernier, a désavoué le gouvernement en jugeant invalide l'accord signé. De sorte que Tiran et Sanafir demeurent aujourd'hui égyptiennes et que les revendications saoudiennes sont restées lettre morte. Mais ce qui a joué un rôle plus important dans la dégradation des relations, c'est le choix de l'Egypte de se rapprocher de la Russie sur le dossier syrien, à l'occasion du vote d'une résolution présentée au Conseil de Sécurité par Moscou en octobre 2016. Par ce geste, le Caire entérinait une position visant à assimiler les rebelles syriens à des «terroristes», alors que figuraient parmi eux certains groupes soutenus par l'Arabie Saoudite. La réaction de Ryad ne s'était pas fait attendre : les livraisons de pétrole avaient été presqu'immédiatement stoppées. La diplomatie égyptienne marquait ainsi sa «souveraineté» en matière d'alliances stratégiques et cette volonté insoumise s'est prolongée lorsque le Caire a décidé de se tenir à l'écart de la coalition arabe qui intervient contre les insurgés Houthis au Yémen, bien que cette coalition soit menée justement par l'Arabie Saoudite. Ce qui ne manquait pas d'être apprécié par un autre allié de la Syrie : l'Iran... Une autre bête noire pour le royaume saoudien ! Washington : le retour Enfin, la même option diplomatique a été retenue sur le dossier libyen, où le Caire représente le soutien principal du Maréchal Haftar dans sa lutte contre certains groupes d'obédience islamiste soutenus par l'Arabie Saoudite. Cela ne doit pas nous faire oublier qu'à son accession au pouvoir, le maréchal Sissi avait reçu le soutien de l'Arabie Saoudite dans sa guerre contre les Frères musulmans : un ennemi commun des deux régimes, dont ils craignent tous les deux l'action souterraine auprès des petites gens. Mais là s'arrête à peu près la convergence de leurs analyses en matière de mouvements politiques islamisants et il est clair que la position égyptienne se caractérise par une défiance plus généralisée, qui la rapproche de celle du régime syrien. Et de celle de Haftar. Alors la question qui se pose est la suivante : qu'est-ce qui fait que, malgré ces diverses questions qui fâchent, les relations entre l'Egypte et l'Arabie Saoudite virent aujourd'hui à une embellie si affichée ? Et ce changement est-il lié d'une façon quelconque à la reprise des activités diplomatiques avec Washington ces derniers temps, puisqu'on ne compte plus les échanges de visite, dont la dernière en date est celle du ministre américain de la Défense à Ryad, la semaine dernière? Qui ne nous fera pas oublier celle de Sissi à Washington le 3 avril dernier ! Il est clair en tout cas que si le monde arabe a besoin, face au camp sunnite mené par l'Arabie Saoudite, d'un camp qui s'ouvre à la fois sur sa composante chiite et, au-delà, sur sa propre diversité, l'Egypte semble être candidate pour en incarner la politique et en défendre les droits. Et si ces deux camps apprennent à agir ensemble, on ne peut que s'en réjouir, en attendant bien sûr que dans l'un et l'autre pays des progrès soient accomplis en matière de respect des personnes et de leurs droits, s'il est permis de le souligner.