Le 4e ciné-concert de l'E-FEST hors de son manoir, ce n'est pas si mal. Pour l'occasion, le CinémAfricArt a été aménagé de manière à accueillir ce concert d'un soir, qui a eu lieu vendredi dernier. Du côté droit de la scène (en étant face à l'écran), ont été installés les musiciens avec leurs instruments et ordinateurs, car n'oublions pas qu'il s'agit d'artistes électronica, " deux des plus importants de la scène espagnole ", comme nous le rappellent les organisateurs. Ils se nomment Fibla (electronics) et Arbol (clavier, glockenspiel, percussions), accompagnés de Sara Pérez au violon. A eux trois, face à l'une des plus belles œuvres du cinéma asiatique, ils interprètent en live un doublage en musique aux images du film. Le film, c'est Goodbye, Dragon Inn, du Taïwanais Tsai Ming (2003). Il s'agit d'un hommage au cinéma et aux salles de cinéma. Coup de cœur de Afif Riahi, directeur de la manifestation. " Ce film tire la sonnette d'alarme à propos de la situation des salles obscures qui ferment les unes après les autres, situation que l'on retrouve en Tunisie également ", explique-t-il pour en justifier le choix. Le ciné-mix a été créé par Fibla et Arbol à la demande du festival du cinéma asiatique de Barcelone, pour son dixième anniversaire. Dans Goodbye, Dragon Inn, tout se passe pendant la dernière projection — avant sa ''fermeture jusqu'à nouvel ordre'' — de la salle de cinéma Fu-Ho, une salle dont l'immensité témoigne de son ancienne gloire. A part l'ouvreuse, infirme, et le projectionniste, les quelques spectateurs semblent être venus chercher un plaisir autre que celui de la cinéphilie. Parmi eux, un Japonais qui est entré dans la salle pour se protéger de la pluie. Il finit par déambuler entre les sièges et les couloirs du cinéma, comme un fantôme dans un labyrinthe. Il nous fait ainsi visiter les lieux et découvrir les dessous d'un cinéma. Les deux seuls spectateurs vraiment attentifs au film, Dragon Gate Inn, un film d'épée chinois à succès réalisé par King Hu en 1964, ressemblent étrangement aux acteurs. Ils sont plus vieux et regardent avec beaucoup d'émotion. L'un d'eux est accompagné de son petit-fils, pour qui le film ne dit pas grand chose. A la fin de la projection, même les efforts désespérés de la placeuse pour rencontrer le projectionniste tombent à l'eau, comme pour dire que la magie du cinéma n'opère plus. Les portes du Fu-Ho ferment, à jamais peut-être, et chacun prend son chemin, seul. Goodbye, Dragon Inn est un film comme aiment en faire les asiatiques. Avec ses répliques rares, ses plans fixes, lents et longs, la précision de jeu de ses acteurs et ses images très recherchées au niveau de la composition et de la lumière, il offre un large champ d'expérimentation sonore pour le trio espagnol. Ils nous ont emportés avec une musique qui touche autant le cœur que l'intellect. La recherche musicale, Fibla et Arbol en savent quelque chose. Cela se voit à travers leurs compositions, à la rencontre de la musique instrumentale et électronique, et même dans les instruments qu'ils utilisent, comme le glockenspiel, voire qu'ils inventent, comme cette percussion inspirée du camping gaz, sur lequel on joue avec des baguettes chinoises sur les bouts desquelles on met des boules. Goodbye, Dragon Inn, Fibla et Arbol, un mix peu ordinaire pour un film " parfait " comme le qualifient les organisateurs de l'E-FEST. Pas facile, malheureusement, de se débarrasser des soucis de la vie quotidienne et de la fatigue d'une longue journée de travail pour savourer avec le recul nécessaire un tel moment élévateur de cinéma. Raison pour laquelle, peut-être, un bon nombre de spectateurs ont quitté la salle. Comme quoi, la sonnette d'alarme a bien de quoi être tirée!