Le jeune réalisateur syrien Zied Kalthoum vient d'obtenir le «Sesterce d'or» du meilleur film documentaire vécu, «Le goût du ciment», au festival Visions du réel qui se tient chaque année en Suisse (Nyon) et qui est consacré exclusivement au film documentaire. Peu de films arabes ont été sélectionnés pour la compétition officielle dans ce festival de films documentaires qui prend de plus en plus de l'allure en Europe. Le film de Zied Kalthoum en fait partie et il n'a pas laissé le jury ni le public indifférents. Un public qui a réservé à ce film, lors de sa première mondiale à Nyon, une standing ovation qui, disons-le, est bien méritée lorsqu'on voit le traitement et le langage cinématographiques avec lesquels la problématique a été traitée, même si ce langage s'inspire fortement du documentaire «Behemoth» du réalisateur chinois Zhao Liang. Pourtant, le sujet de la guerre en Syrie (hyper-usité) aurait pu inscrire ce film dans le déjà-vu, mais voici que la manière de raconter les choses a tout changé. Raconter la guerre non par la destruction mais par la construction de nouveaux bâtiments est une idée assez originale. En voici la synopsis : «A Beyrouth, des ouvriers du bâtiment syriens construisent un gratte-ciel alors que, au même temps, leurs propres maisons sont bombardées. La guerre au Liban est finie mais, en Syrie, elle fait encore rage. Les ouvriers sont coincés, ils ne peuvent quitter le site après 19 heures. La nuit, le gouvernement libanais impose un couvre-feu aux réfugiés. Leur seul lien avec l'extérieur est le trou par lequel chaque matin ils sortent pour aller travailler. Coupés de leur pays d'origine, ils se rassemblent le soir devant un petit poste de télévision pour obtenir des informations concernant la Syrie. Rongés par l'angoisse et l'anxiété, privés des droits de l'homme et du travailleur les plus basiques, ils continuent de croire qu'une autre vie est possible». Après The Immortal Sergeant, Zied Kalthoum compose un essai déchirant sur le sens d'une vie en exil, sans possibilité de retour, dans un monde en guerre. Techniquement, le film est d'une excellente qualité servi qu'il était par une image, un montage son et un mixage irréprochables. Le réalisateur a su capter et exploiter toutes les sonorités que lui offrait le monde de la construction des bâtiments. C'est ce monde de la construction qui a offert également au réalisateur assez d'éléments visuels et plastiques en quelque sorte et qui ont enrichi le film, car le documentaire ne contient pas de dialogues. Seule la voix du narrateur apparaît d'un moment à l'autre pour se souvenir d'un père qui travaillait lui aussi dans le bâtiment et qui sentait toujours le ciment. C'est de cette richesse visuelle et sonore que le film nous retient pendant 86 minutes. Ce qui lui a également donné de l'originalité, c'est son montage non académique et ses embardées oniriques.