Chaque instance cultivant sa différence, à travers un mode de fonctionnement interne et spécifique et des objectifs différents, refuse d'être standardisée par un texte de loi général la reliant à ses quatre autres consœurs. Les cinq instances constitutionnelles sont au cœur du séminaire organisé hier aux Berges du Lac par l'ONG Solidar et l'Instance constitutionnelle de lutte contre la corruption (Inlucc). En présence de Mehdi Ben Gharbia, ministre chargé des relations avec les instances indépendantes, et trois des présidents, Chawki Tabib, Nouri Lajmi et le démissionnaire Chafik Sarsar, une étude sur les dispositions communes régissant les institutions a été présentée par le juge administratif Ahmed Souab. Auparavant, Najla Brahem, directrice générale au sein du ministère de tutelle, a détaillé le texte de loi-cadre. Si Mehdi Ben Gharbia fait un plaidoyer pour défendre le projet de loi déjà déposé à l'Assemblée, il valorisera également la démarche du gouvernement en vue de doter les instances et notamment l'Inlucc de tous les moyens adéquats, lui garantissant l'indépendance quant à l'exercice de sa mission et, par voie de fait, l'efficacité dans sa lutte contre la corruption. La méfiance est à l'œuvre Sauf que ce texte à l'examen, faisant office d'un socle juridique commun aux instances constitutionnelles, divise autant les concernés qui y officient que les juristes. Dans une série de prises de parole minutées par la présidente du collectif Solidar et ancienne constituante, Lobna Jeribi, de franches appréhensions ont été exprimées. Le dilemme qui oppose l'auteur de l'initiative, l'exécutif, aux présidents des instances, s'articule sur deux niveaux : chaque instance cultivant sa différence, à travers un mode de fonctionnement interne et spécifique et des objectifs différents, refuse d'être standardisée par un texte de loi général la reliant à ses quatre autres consœurs. Deuxièmement, chaque instance semble regarder les autres pouvoirs et notamment l'exécutif avec méfiance, désirant s'assurer une indépendance actée de manière claire et par des mécanismes juridiques précis. En vue d'avoir un point de vue transcendantal sur la question, nous avons sollicité une constitutionnaliste présente à la rencontre, Salsabil Klibi, qui considère que lesdites instances sont des pouvoirs nouveaux, adventices, mais aussi des contre-pouvoirs qui vont s'installer dans un paysage institutionnel déjà chargé. Un contre-pouvoir réel Elle défend la loi-cadre qui n'est que le prolongement de l'article 125 de la Constitution qui couvre toutes les instances constitutionnelles indépendantes et préconise, en outre, une prise de conscience des pouvoirs classiques, l'exécutif, le législatif, le juridictionnel. Dans un régime comme le nôtre, parlementaire, quelque peu présidentialisé, analyse Mme Klibi, la séparation n'est pas nette, les pouvoirs sont forts, notamment le pouvoir exécutif qui est extrêmement puissant. Il faut se faire à l'idée qu'aujourd'hui, nous avons besoin d'un nouveau type de contre-pouvoir. La fonction essentielle de ces instances étant de contrôler. « Elles devront obéir à un minimum de règle commune», estime-t-elle. Cela étant dit et malgré la noble mission à laquelle elles se prédestinent, la pléthore des instances a été critiquée au cours des interventions. « Je suis contre la multiplication des instances, parce que c'est très coûteux, reconnaît l'universitaire, parce que cela alourdit le paysage institutionnel. J'ai souhaité la réduction des instances à leur minimum. Mais à présent, on ne peut plus le faire. Il est très difficile de réviser la Constitution », conclut-elle avec philosophie. Organiser ces instances, déterminer de manière nette leurs attributions, compétences et pouvoirs représente l'objectif ultime de l'ensemble du processus. Il y en a un autre, décisif, les préserver absolument des convoitises des partis politiques par des mécanismes juridiques qui soient efficaces. Ce serait le fin mot de l'histoire.