Deux textes en attente à l'ARP mais si peu d'écho sur la scène médiatique... Pourtant, la mise en place de la cour chargée de juger de la constitutionnalité des lois obéit à des échéances qui se rapprochent! La chaleur caniculaire de ce samedi 1er août n'a pas empêché l'Association tunisienne de droit constitutionnel, ainsi que la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis d'organiser une rencontre importante autour de la future Cour constitutionnelle. Deux ministres ont d'ailleurs fait le déplacement et pris part au débat. Il s'agit de M. Farhat Horchani, ministre de la Défense, et de M. Mohamed Salah Ben Aïssa, ministre de la Justice : tous deux juristes et anciens doyens de la faculté susnommée. La séance prévoyait deux exposés, qui devaient définir les problématiques à l'ordre du jour autour de la Cour constitutionnelle. Le premier portait sur la composition des membres et le second sur les prérogatives. Ces exposés ont été présentés respectivement par Salwa Hamrouni et Salsabil Klibi, qui sont deux constitutionnalistes. L'opportunité de la rencontre vient du fait que, comme le rappelle la présidente de l'Association tunisienne de droit constitutionnel, Mme Neïla Chaâbane, le texte de la Constitution indique que la Cour constitutionnelle, censée remplacer l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois, doit être mise en place un an après les élections législatives. Ce qui nous amène à octobre prochain, ou novembre si on considère comme référence l'annonce des résultats... C'est demain ! Actuellement, les députés disposent non pas d'un seul «draft», mais de deux : la «proposition de loi» émanant des députés eux-mêmes, en date du 2 juin dernier, et le projet de loi, présenté par le gouvernement en début juillet et à la rédaction duquel ont pris part des membres de l'Association organisatrice, dans le cadre d'un comité de préparation. Cette situation assez particulière soulève d'ailleurs le problème de la priorité à accorder à l'un ou l'autre texte comme référence dans les travaux d'examen à l'ARP. Pour Salwa Hamrouni, la priorité dans l'ordre du temps ne confère pas une priorité absolue. L'article 62 de la Constitution, ajoute-t-elle, confère au contraire une priorité au projet de loi du gouvernement. Tout le monde s'accorde cependant pour dire que le débat public autour de la Cour constitutionnelle est occulté. Et que cela va à l'encontre de l'importance stratégique de cette instance juridique, la plus haute qui soit, dont le doyen actuel de la faculté, M. Lotfi Chedli, rappelle à juste titre que si la Constitution de 1959 — «qui n'était pas si mal au départ» — nous a menés là où elle nous a menés, c'est parce que la mission de contrôle — qui justement lui incombe — n'a pas été respectée. Loin du consensus La question de la composition est de celles qui vont susciter la controverse. Le projet de loi stipule, à la différence de la proposition de loi, que les candidats n'aient pas été membres d'un parti durant les 10 dernières années. Pour certains, comme l'ancien constituant Fadhel Moussa, il s'agit d'une mesure discriminatoire. Il est relayé par d'autres, qui s'insurgent contre ce qui est considéré comme une diabolisation des politiques. Pour Mme Hamrouni, qui est énergiquement soutenue par le ministre de la Justice, il y va de la crédibilité de la cour. Si ses membres sont étiquetés selon leurs appartenances politiques, sa neutralité sera mise en doute au regard du citoyen... «La façon dont elle sera perçue» joue un rôle déterminant dans cet argument. On aura compris qu'on est loin du consensus sur ce point précis. Les deux textes font également apparaître des divergences sur l'acception des prérogatives. Ce qui, souligne Salsabil Klibi, apparaît à travers la proposition de loi dès son premier article. Le texte des députés énonce en effet que «la Cour constitutionnelle est une instance judiciaire indépendante garantissant, dans le cadre de ses attributions, l'indépendance du pouvoir judiciaire». La constitutionnaliste fait remarquer ici que la Cour constitutionnelle n'a pas pour vocation de garantir «l'indépendance du pouvoir judiciaire» mais la conformité des lois à la Constitution. D'autre part, on semble avec une telle formulation sous-entendre que quelque instance fixerait ses «attributions»... Ce qui est contraire à sa position supérieure. Au contraire, cette instance ferait plutôt craindre qu'on ait affaire avec elle à un «démiurge»... Et la difficulté est de lui conférer la force requise pour qu'elle assume ses prérogatives en ayant le souci qu'elle demeure dans une relation d'ouverture et d'interaction avec son environnement : la société civile en particulier. Il manque le CSM Le point essentiel de cet exposé relatif aux prérogatives insiste sur le fait que toutes les constitutions, à travers le monde, donnent lieu à des lectures diverses et que, par conséquent, il est nécessaire de disposer d'une instance qui permette de dépasser le flou que génère cette diversité de lectures. Cette instance a le pouvoir de «l'interprétation authentique» ! C'est elle qui dit ce que veut vraiment dire la Constitution dans ses différentes dispositions. Et il importe, comme le souligne expressément le texte du projet de loi, que ses «décisions et avis soient contraignants pour l'ensemble des pouvoirs». On comprend donc, cette fois, que certains puissent éprouver une sorte de méfiance à l'égard de son pouvoir... D'autant qu'elle peut aussi constituer un recours du citoyen justiciable face à la justice. Puisque ce dernier peut contester la constitutionnalité des décisions prises à son encontre par les tribunaux. Un risque de blocage de l'appareil judiciaire, font observer certains dans la salle. En effet, si ce recours devenait systématique, les affaires seraient toutes retardées. Dans beaucoup de pays, on pare à cet inconvénient en conférant aux tribunaux la capacité de jouer un rôle de filtre en jugeant ce qui est recevable et ce qui ne l'est pas parmi ces recours... Le ministre de la Justice prend acte de la mise en garde sur ce point précis mais maintient sa position... «sans filtre» ! Actuellement, la mise à l'ordre du jour des deux textes dans les débats bute sur le fait que nous n'avons toujours pas de Conseil supérieur de la magistrature. Et qu'il existe, semble-t-il, un blocage autour de sa mise en place. Le Conseil supérieur de la magistrature est une des trois instances grâce auxquelles s'effectue le choix des membres de la Cour constitutionnelle, les deux autres étant l'ARP et la présidence de la République. Pourtant, il faudra bien faire avancer les choses. Comme le rappelle Farhat Horchani, la Cour constitutionnelle devra être en place dans la perspective des élections municipales... Des échéances pas si lointaines !