Par Lobna JERIBI Dans le cadre de son programme de monitoring législatif, Solidar Tunisie entend utiliser de l'expertise et la participation élargie de la société civile pour proposer des améliorations aux projets de loi soumis au vote de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP). C'est dans cette perspective que Solidar Tunisie a examiné le Code de l'investissement ; un texte très important qui constitue la pierre angulaire de l'édifice économique et que certains qualifient de « Constitution économique » du pays. En effet, et depuis un moment, les différents acteurs économiques attendent avec impatience cette loi et les choix qui y seront déclinés. Les investisseurs, tunisiens et étrangers, s'attendent à une meilleure gouvernance, à une plus grande transparence et à meilleur climat des affaires. De même, les demandeurs d'emploi y voient la solution miracle à la problématique du chômage et les habitants des régions défavorisées espèrent y trouver les incitations adéquates qui pourront rendre leurs régions plus attractives, y relancer l'investissement et booster leur développement. On est donc en droit de se poser les questions suivantes : Le projet du Code de l'investissement répond-il aux attentes et demandes ? Permet-il d'aborder l'avenir avec plus d'espoir et de certitude ? Rend-il la Tunisie plus attractive ? Au-delà des point positifs que ce projet apporte, à l'instar des droits et obligations des investisseurs ou de l'arbitrage, force est de constater que le projet présenté à l'ARP comporte des insuffisances qu'il faudrait rectifier avant son adoption par l'Assemblée. On cite notamment : — L'inconstitutionnalité du choix de déléguer au pouvoir réglementaire général le soin de définir les conditions d'octroi des primes de financement de l'investissement, leurs pourcentages et plafonds, d'autant que l'article 65 de la Constitution stipule que tous les engagements financiers de l'Etat sont du domaine de la loi et ne peuvent être délégués à l'exécutif. — Le choix de différer les dispositions afférentes aux incitations fiscales et de les séparer en les intégrant dans un autre texte législatif autonome alors que le Code de l'investissement est censé être un texte généraliste et contenir toutes les réponses aux questions des investisseurs, notamment celles relatives aux incitations qui sont déterminantes pour leurs décisions. Ce projet s'adosse à des décrets réglementaires non encore finalisés et des conventions cadres fixant les rapports entre l'ITI et les structures de l'investissement et entre le FTI et les institutions financières. — Un code devrait centraliser toutes les dispositions relatives à l'investissement. A défaut, tous les textes sus-indiqués devraient être transmis, en même temps que le code, à l'Assemblée et à la société civile afin de permettre aux élus et aux concernés d'avoir une compréhension globale de la vision de l'exécutif et de pouvoir juger de l'impact de ces diverses dispositions sur l'investissement. — S'agissant des incitations, ce projet ne prend pas en compte plusieurs choix consacrés dans la constitution tels que l'égalité effective des hommes et des femmes en matière d'investissement, la prise en compte des besoins spécifiques des jeunes, la nécessaire bonne gouvernance et la décentralisation. Il n'intègre pas non plus les choix que dictent les nouveaux enjeux économiques du pays comme les incitations aux alliances stratégiques et à la coopération entre firmes, l'encouragement de l'internalisation des entreprises. Il y est peu question de la redevabilité des instances de gouvernance de l'investissement. — Les efforts consentis pour rationaliser la gouvernance de l'investissement par la mise en place de l'Instance tunisienne de l'investissement (ITI), censée être l'interlocuteur unique de l'investisseur, auront plus de chances d'aboutir si les propositions ci-dessous sont prises en compte : * Faire de l'instance une autorité administrative indépendante (AAI) au lieu de la créer sous forme d'établissement public à caractère non administratif (Epna), cela la dotera d'une plus grande autonomie indispensable pour une bonne gestion de l'investissement et l'épargnera des tiraillements politiques, source d'instabilité pour l'investissement. * Donner de manière claire et express le «lead» à l'instance dans ses rapports avec les structures liées à l'investissement et ne pas la cantonner à un simple rôle de coordinateur sans pouvoir de décision. Le projet fait de l'instance un maillon supplémentaire aux structures existantes, ce qui constitue une source de complication et non de simplification administrative. * A défaut d'opter pour une absorption-fusion de toutes les structures de l'investissement au sein de l'ITI, le Code devrait stipuler explicitement que les actes émanant de l'instance sont obligatoires pour lesdites structures, autrement sa création ne serait d'aucun intérêt pour l'investissement d'autant plus que les structures de l'investissement sont placées sous différentes tutelles (ministères de l'Industrie, du Tourisme, de l'Agriculture, du Développement et de l'Investissement et de la Coopération internationale). * Le projet du code a omis de donner aux collectivités locales le rôle qu'elles doivent jouer dans les décisions relatives aux investissements les concernant, ce qui contredit les termes de la Constitution et va à l'inverse de l'esprit d'une vraie décentralisation qui donne à ces régions leur pleine autonomie par rapport au pouvoir central. Dans ce cadre, Solidar Tunisie a organisé samedi 19 mars un workshop qui avait pour objectif de présenter les travaux et analyses effectués au sein de Solidar, par des experts externes et internes, de différents profils et horizons : universitaires, chefs d'entreprise, financiers, experts comptables, juristes. Ce workshop a permis de débattre de ces travaux, d'élargir la concertation avec les différentes organisations qui ont déjà travaillé sur le code et de lancer un dialogue avec l'ensemble des parties prenantes et opérateurs concernés par l'investissement. ont participé aux débats des députés de l'ARP, des représentants de l'Utica, de la Conect, de l'Institut arabe des chefs d'entreprise (Iace), de l'Ordre des experts-comptables, de la Banque de financement des petites et moyennes entreprises Bfpme, des représentants des Sicar, des juges, des avocats, des chercheurs et des représentants de la société civile Le workshop a permis des échanges très riches. Une synthèse des travaux préparés par Solidar et des propositions présentées lors du workshop sera élaborée et remise aux instances législatives et exécutives. * Présidente de Solidar Tunisie