«Cette politique anticorruption est engagée en commune harmonie avec le président Béji Caïd Essebsi» «Pour l'ensemble des arrestations, les enquêtes préliminaires ont pris des mois. J'y présidais et nous y avons travaillé en totale discrétion, dans le secret le plus absolu». Les propos du chef du gouvernement, Youssef Chahed, sont clairs et précis. Dans l'interview qu'il a accordée à La Presse, il lève le voile sur «la guerre anticorruption qui ne vise aucune personne en particulier mais elle n'exceptera aucune personne compromise et ne protègera personne». M. Youssef Chahed, lorsque vous avez été chargé de former le gouvernement et lors de votre discours d'investiture, vous avez annoncé vos priorités : gagner la guerre contre le terrorisme et déclarer la guerre à la corruption. L'actuelle guerre anticorruption que vous menez est-elle une vraie guerre ou n'est-ce qu'une simple bataille ? Excellente question. Je veux justement m'exprimer et faire une précision là-dessus. J'entends certains dire que c'est une campagne. Non, nullement, il s'agit plutôt d'une politique d'Etat, annoncée dès l'adoption du Pacte de Carthage. J'avais précisément déclaré : « Nous allons déclarer la guerre à la corruption ». La corruption chez nous est généralisée. Elle sévit partout. J'étais en train de lire Ibn Khaldoun qui dit que la phase durant laquelle la corruption infiltre les institutions, l'Etat signe sa décadence. Peut-être que nous n'en sommes pas encore là, mais il importe d'être vigilant. Ce n'est donc pas une simple campagne comme je l'entends dire depuis deux semaines, mais une politique. Je l'avais d'ailleurs invoquée lors de mon discours d'investiture devant le Parlement. Et j'avais dit que cela sera la priorité absolue de notre politique pénale. J'en ai parlé avec le ministre de la Justice qui s'est réuni avec les procureurs généraux et les magistrats du parquet pour faire en sorte que la lutte anticorruption soit une priorité. Il y a un grand flou autour du dossier de Chafik Jarraya. Beaucoup de gens ne comprennent pas encore la signification des poursuites pour trahison et atteinte à la sûreté de l'Etat. Est-ce dans le cadre d'une politique suivie de longue date ou bien est-ce que cela a été décidé alors que le gouvernement subissait une crise profonde ? Moi, Chafik Jarraya, je ne l'ai jamais vu ni connu. Si le parquet militaire s'est saisi de son dossier c'est qu'il y a motif réel à des poursuites fondées sur des données factuelles et avérées. Le parquet militaire s'il se saisit d'une affaire c'est sur la base de l'opportunité des poursuites. Pour l'ensemble des arrestations, les enquêtes préliminaires ont pris des mois. J'y présidais et nous y avons travaillé en totale discrétion, dans le secret le plus absolu. Je respecte le secret de l'instruction. Quant à prétendre que c'est lié aux mouvements sociaux et protestataires c'est faux. Les mouvements protestataires se poursuivent encore. Là aussi je précise qu'il s'agit d'une politique consentie. Au bout de neuf mois d'exercice du gouvernement, le diagnostic largement admis est qu'il y a une relation organique et avérée entre la contrebande, la corruption financière et le terrorisme. La corruption menace sérieusement le taux de croissance et concourt à le maintenir dans des proportions infimes. Sans cela, nous pourrions aisément atteindre 7 % à 8% de croissance. Et puis nous avons trouvé d'emblée un vide juridique. Un Etat ne saurait combattre la corruption sans une batterie de mesures législatives. Avant, les magistrats statuaient sur l'origine des biens sur de simples coups de fil. Ce n'est plus le cas. Face à ce constat, nous avons adopté une stratégie tous azimuts, toute action. En premier lieu, nous avons érigé la lutte anticorruption en priorité de la politique pénale de l'Etat. Puis nous avons attaqué le volet législatif avec les lois sur l'origine des biens acquis, la loi sur les informateurs en matière de corruption, la mise en place d'institutions telle que l'Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc) présidée par Me Chawki Tabib, munie de prérogatives inédites, disposant d'agents de police judiciaire et pouvant procéder aux perquisitions et descentes sur le terrain. Les gens vont s'habituer à ce type d'opérations. Ce n'est pas des opérations ponctuelles, il faut s'y habituer au même titre que la lutte antiterroriste. En décembre 2016, nous avons adopté un projet de loi soustrayant au pôle judiciaire financier les affaires de droit commun afin qu'il se concentre sur les affaires de corruption. On a décidé aussi de coopter 500 nouveaux magistrats, alors qu'il n'y en a que 2.300 actuellement, idem pour la Cour des comptes. Nous avons décidé de créer aussi des tribunaux administratifs dans les régions, une première depuis l'indépendance. C'est donc une politique méthodique de lutte anticorruption. Nous avons traduit en justice des centaines de dossiers. Le montant des sommes confisquées des huit derniers mois, sonnantes et trébuchantes, s'élève jusqu'ici à 700 millions de dinars rien que dans le commerce parallèle et la contrebande. Donc il y a la batterie de mesures législatives, l'adoption de la stratégie nationale de la lutte anticorruption, le renforcement de la magistrature à différents niveaux, les confiscations et les arrestations des coupables ainsi que d'autres actions prévues. Autant d'actions qui ont culminé aux yeux de l'opinion avec l'arrestation des grands chefs de la contrebande. Cela a généré un choc psychologique dans l'opinion. Certains disent que ces arrestations sont sélectives. Est-ce que la lutte anticorruption peut se limiter à l'arrestation de huit personnes ? Cette guerre anticorruption ne vise aucune personne en particulier mais elle n'excepte aucune personne compromise dans la corruption. Elle ne protègera personne. Notre but est de mettre en pièces les systèmes de la corruption et du triptyque terrorisme-corruption-contrebande et évasion fiscale. C'est un système observable partout, notamment dans les régions. Même les protestations sociales sont mises à profit par ce système. Les terroristes aussi en profitent. Tel est le cas au Jebel Chaambi ou à Sidi Bouzid. Nous voulons démonter les mécanismes de ce système et ce n'est guère sélectif. Les huit personnes arrêtées jusqu'ici ne sont guère des enfants de cœur en fait. Il s'agit de gros pontes de la contrebande. Lorsqu'il y avait eu les premières arrestations, on nous avait dit vous n'attrapez que les vendeurs à la sauvette. Les huit personnes sont de gros poissons dont l'un est traduit devant la justice militaire. Ils répondent de faits graves et certains d'entre eux sont liés aux Trabelsia. Il y aura d'autres arrestations. Si nous avons eu recours à la loi sur l'état d'urgence pour les arrêter : à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Il faut utiliser tous les outils. L'Etat se rebiffe et se défend. J'ai dit ou l'Etat triomphe ou c'est la corruption qui l'emporte. Si cette opération a bénéficié d'un large soutien de l'opinion c'est parce que les gens en ont marre de la corruption qu'ils voient partout. Est-ce que le recours à la loi d'exception pour ces arrestations signifie un désaveu de la justice ordinaire ? Où sont les tribunaux ordinaires dans ces arrestations ? Et qu'en est-il de la garantie de procès justes et équitables, toute personne arrêtée étant, en vertu des lois, présumée innocente jusqu'à preuve du contraire ? Les personnes assignées à résidence seront traduites devant la justice ordinaire. L'article 5 du décret instituant la loi d'urgence dit bien que les personnes sont assignées à résidence dès qu'elles constituent un danger public. D'autres actions sont prévues dans ce cadre. D'autres personnes pourraient être arrêtées en vertu de la loi d'urgence, dès qu'il s'avère que l'Etat est en danger. Les gens devront s'y habituer comme ce fut le cas des arrestations dans le cadre de la lutte antiterroriste. La lutte anticorruption est une guerre continue, de longue haleine et procède d'une politique soutenue. Les médias sont appelés à sensibiliser les gens à ce propos. La justice doit assumer pleinement son rôle. Il y a des affaires enrôlées depuis 2011 en vertu du rapport de la commission de feu Abdelfettah Amor dont on attend toujours le verdict. Nous n'interférons pas dans les procès mais nous préconisions que les prononcés de jugements soient effectués pour que chaque partie ait son dû. Le soutien exprimé par le peuple tunisien à cette politique anticorruption est très important. Le parti des pro-corrompus a commencé à bouger parce que les intérêts en jeu sont très importants et les intéressés ne comptent pas se croiser les bras. Mais le peuple exige la lutte anticorruption et demande qu'elle soit une grande priorité. Et puis d'autres types d'action sont prévus, telle la digitalisation intégrale de l'administration pour lutter contre la corruption. Dès la semaine prochaine, nous procéderons à la réorganisation radicale des instruments de gestion des finances publiques. Les logiciels dont nous disposons aujourd'hui (sanad, irched etc.) sont des voies d'accès à la corruption. Un douanier peut y changer un code manuellement. Ils sont très vulnérables. Nous allons mettre en place un système unique chapeautant tout et à même de verrouiller les voies de la corruption, qu'il s'agisse du Trésor public, des ressources de l'Etat, des embauches, des marchés publics dont le système en ligne est optionnel et que nous allons rendre obligatoire. Et l'opengov ? Oui bien évidemment. C'est un grand programme. Le nouveau système unique de digitalisation intégrale est de longue durée. La France et l'Allemagne l'ont déjà adopté. Nous comptons aussi mettre en place une commission de suivi de la gestion des ressources naturelles présidée par une personnalité nationale et composée d'acteurs de la société civile, de représentants de ministères et d'experts. Elle ne se contentera pas du seul suivi. Elle aura en charge les recommandations pour la bonne gouvernance. Il y a probablement une mauvaise gouvernance des ressources pétrolières, comme d'autres secteurs. Pareille commission existe sous d'autres cieux, notamment dans les pays du Golfe, et appelée Transparency Initiative. Vous dites bien que la lutte anticorruption est une politique qui ne vise personne mais qui n'excepte aucune partie. Des dirigeants de Nida Tounès disent qu'ils font l'objet d'une campagne de calomnies et certains vous accusent d'en être l'instigateur. Qu'en dites-vous ? Je suis issu de Nida Tounès et j'en suis fier. Ce parti fondé par le président Béji Caïd Essebsi a créé un équilibre profond et profitable à la démocratie dans la vie politique tunisienne. Ce parti a connu beaucoup de crises que nul ne saurait nier. Il connaît une crise de leadership depuis que le président Béji Caïd Essebsi est au palais de Carthage. Il est encore désorganisé structurellement. Je nie catégoriquement viser le parti Nida Tounès, c'est insensé. J'ai de bonnes relations avec tous les élus de Nida Tounès. Certains veulent semer la zizanie et la discorde. Mais je suis à égale distance de tous les partis tels Nida, Ennahdha, Afek ou autres. Quelles sont selon vous les voies de sortie de crise de Nida dont vous évoquez la crise de leadership et la crise organisationnelle ? Quand Nida Tounès retrouve sa vigueur, c'est une garantie pour la démocratie. Il y va de l'équilibre de notre système politique. C'est important d'avoir un équilibre des forces, même à l'international. La réussite de la démocratie tunisienne dépend de la stabilité politique, même le FMI y souscrit. Il y a de nouvelles recrues à Nida et la perspective des élections municipales le 17 décembre 2017. Que pensez-vous des nouvelles recrues de Nida ? Je ne les connais pas. Je ne saurais intervenir dans les affaires de Nida, étant chef du gouvernement d'unité nationale. Je reviendrai à Nida après. Il faut recoller les morceaux de Nida. Ce parti a éclaté en plusieurs factions. Il faut ressouder les rangs. Via un congrès électif notamment ? Oui pourquoi pas. Vous seriez candidat à la présidence de Nida ? Non, non, non En général les chefs de gouvernement président leur parti, telles Theresa May en Grande-Bretagne ou Angela Merkel en Allemagne. On ne peut pas régner sans gouverner ou gouverner sans régner La situation est différente en Tunisie. Je ne peux pas me projeter autrement que ce que nous effectuons au sein du gouvernement. Nous devons payer les salaires de juin Il y a problème pour le paiement des salaires ? Nous avons dépassé la problématique puisque le FMI a procédé au paiement de la tranche du prêt. Autrement il y aurait difficultés ? Nous avions des problèmes tels que l'assèchement des liquidités. C'est l'un des acquis du gouvernement que d'avoir ravivé l'accord avec le FMI qui était en souffrance. La matrice FMI, englobant plusieurs repères, était au rouge. Maintenant elle est devenue yellow-green, c'est-à-dire verte pratiquement. On a beaucoup de challenges dont l'élévation de la lutte antiterroriste durant Ramadan où il y a de grandes menaces et une volonté de représailles de la part des terroristes après l'opération réussie contre Abou Sofiène. Il y a aussi la situation prévalant en Libye. Et la saison touristique hautement prometteuse. On a aussi de très bons chiffres sur l'économie. On est concentrés sur le quotidien tout en donnant une vision à la Tunisie pour les trois prochaines années. On ne peut pas se projeter en dehors de ces priorités. Si les investigations démontrent l'implication de certains députés dans la corruption, les soutiendriez-vous ou bien vous rangeriez-vous du côté de la justice impartiale ? La position est claire. Le président de la République lui aussi est très clair à ce propos. Cette politique anticorruption est engagée en commune harmonie avec le président de la République. Ce qui est certain, c'est que toute personne impliquée sera poursuivie. Personne n'interférera dans la justice. Même les ministres éventuellement impliqués devront répondre de leurs actes devant la justice. Si quelqu'un a des preuves contre des ministres, il doit saisir la justice. Il faut éviter aussi de diaboliser tout le monde et de considérer que tous sont corrompus. Vous dites que votre lutte anticorruption se passe d'un commun accord avec la présidence de la République. Cette politique a suscité un choc psychologique collectif. Votre cote de popularité en est réconfortée. Certains disent que c'est lié à vos ambitions personnelles, notamment avec les élections législatives et présidentielle prévues en 2019. Qu'en dites-vous ? Je suis venu pour une mission : faire réussir le Document de Carthage, remettre le pays sur la voie de la croissance soutenue d'ici 2019, gagner définitivement la bataille contre le terrorisme et la corruption. Il faut aussi créer une nouvelle génération politique. Depuis la génération créée par Bourguiba, par dizaines, il n'y a pas eu de nouvelle génération. C'est l'occasion de le faire maintenant. C'est ce dont la Tunisie a besoin pour que la démocratie soit irréversible. Je n'ai aucun calcul politique ou ambition. C'est normal qu'un opposant attende les élections pour concrétiser ses ambitions. Moi, je tiens le gouvernail, je suis à la barre, je dois réussir pour que la Tunisie réussisse et soit sauvée parce que nous sommes menacés par le terrorisme, la corruption, le chômage et les crises sociales. J'ai un seul objectif, réussir ici et maintenant et remettre le pays sur la bonne voie, ni 2019 ni rien. Je n'ai point de calcul politique. J'ai 41 ans, je ne suis pas pressé, comme dirait l'autre (manich mazroub). En 2020, si je réussis entretemps dans ma mission, je serai là où il faut servir l'Etat, je suis issu d'une famille qui a toujours servi l'Etat. Je peux me situer n'importe où. C'est un honneur que de servir l'Etat. Je n'ai aucun calcul politique quoi qu'on en dise. Si vous aviez à choisir où vous seriez en 2020 au Bardo, à la Kasbah ou à Carthage ? Franchement, je ne peux pas me projeter au-delà des quelques mois actuels. La lutte antiterroriste nous coûte beaucoup. On a doublé le budget des ministères de l'Intérieur et de la Défense en quelques années. Je ne cesse de le rappeler au FMI. On avait une armée pour défiler le 20 mars seulement. Il y a deux contraintes principales, le terrorisme et la contrainte FMI. Est-ce qu'on commence à éradiquer le terrorisme et peut-on parler de foyers résiduels de terrorisme et de cellules dormantes ? On a réalisé de grands pas depuis le gouvernement de M. Habib Essid mais il reste beaucoup à faire. Le terrorisme frappe partout dans le monde. Il y a la situation chaotique en Libye aussi qui pèse de tout son poids. On a commencé à mettre en place la surveillance électronique des frontières sur 500 km. Sans oublier la question du retour des terroristes tunisiens enrôlés ailleurs. Le coût de la lutte antiterroriste est grandiose. Il faut être vigilant et peaufiner l'approche de cette lutte. On anticipe désormais face au terrorisme, nos forces ont infiltré les terroristes, nous sommes mieux outillés. Nous avons des troupes d'élite extraordinaires et reconnues comme telles, telles que la BAT, l'Usgn... La saison touristique est-elle sécurisée ? Oui nous nous y sommes pris très tôt cette année, moyennant la collaboration de tous les intervenants. Jusqu'au 31 mai, nous avons plus de 2 millions de touristes. Et les revenus du tourisme ? Ils se sont vaporisés et une bonne partie des devises finit dans le marché noir Oui, il y a aussi la dépréciation du dinar qui a diminué les rentrées réelles. Nous avons maintenant des bureaux de change dans les principaux points d'accès à la Tunisie. Nous avons deux projets de loi aussi concernant l'argent en devises qui circule en Tunisie. A travers une loi exceptionnelle, limitée dans le temps, cet argent pourra être intégré dans les banques moyennant des pénalités et renforcer les réserves en devises. Et les perspectives économiques, qu'en est-il ? Elles sont prometteuses. Les chiffres le traduisent. Nos priorités sont les investissements, la production et les exportations. Il y a le taux de croissance annuelle de 2,1% et surtout la croissance du dernier trimestre de 9% et qui a pu générer 15.000 emplois. J'ai exhorté les ministres à poursuivre dans ce sens. Pour le mois de mai, il y a un retour important de l'activité économique, l'augmentation de 40% des exportations et la récupération du marché des phosphates avec une augmentation de 24%. Les importations ont augmenté de 34% mais le taux de couverture des importations par les exportations a nettement évolué. Et la banque des régions annoncée par le président de la République ? Elle fera l'objet d'un nouveau projet de loi et nous nous acheminons vers la mise en place d'une banque de développement. Nous avons également l'emploi aidé de «Aqd elkarama» qui a pu générer 18.000 postes d'emploi jusqu'ici en plus de la saison des moissons très prometteuse. Comment jugez-vous le profil de vos ministres actuellement ? Certains semblent engagés avec vous, d'autres traînent le pied. Est-ce que tous les ministres sont engagés dans la lutte anticorruption ? Je salue les efforts de tous les ministres, mais en prime le ministre de l'Intérieur, le ministre de la Justice, le secrétaire d'Etat aux Affaires foncières qui se sont pleinement engagés dans la lutte anticorruption et ont pris des décisions courageuses, tel le ministre de l'Intérieur, qui a pris des décisions qu'aucun ministre antérieur de l'Intérieur n'a prises. Lors du dernier Conseil des ministres — c'est comme si vous y étiez présent — j'ai rappelé que la lutte antiterroriste n'est pas l'affaire du chef du gouvernement et du ministre de l'Intérieur seulement. Tous les ministres sont concernés et doivent s'y engager réellement. Lors de ce dernier Conseil des ministres, j'ai recadré le rôle des ministres. Je leur ai dit, au-delà de la fonction politique, vous avez trois casquettes essentielles : en premier lieu la lutte anticorruption, moi je passe chaque jour une à deux heures dans la seule lutte anticorruption. La deuxième casquette est le développement dans les régions, il ne s'en tient pas au seul aspect sectoriel. En troisième lieu, il y a le développement, comment décliner la croissance et ses verrous, ses agrégats. La loi d'urgence économique traîne hélas au Parlement alors que nous la lui avons transmise depuis septembre 2016. Vous avez procédé à un mini-changement ministériel mais pas à un remaniement. A quand le remaniement ministériel ? Je suis plus à l'aise avec M. Fadhel Abdelkéfi chapeautant les ministères du développement et celui des Finances. En Tunisie, le ministère de l'Economie est fondamental. Probablement nous allons réunir différents départements en un super-ministère de l'Economie. Je procèderai à l'évaluation du bilan des ministres sous peu, soit à l'issue d'une discussion de la prochaine loi de finances. Votre gouvernement est toujours soumis aux partis et à leur diktat. Il y a comme une tribalisation de la politique C'est un gouvernement d'union nationale. Mais certains partis de l'opposition vous soutiennent dans la lutte anticorruption alors que des partis de la majorité gouvernementale s'inscrivent contre vous, n'est-ce pas paradoxal ? Oui, mais la bataille contre la corruption dépasse les partis et est au-dessus des partis. C'est pourquoi j'ai dit ou l'Etat ou la corruption. Il y a des partis de l'opposition qui critiquaient férocement le gouvernement qui se sont alignés derrière le gouvernement dans cette lutte anticorruption. Parce qu'il y a le soutien populaire à cette lutte. Dans certaines batailles, il n'y a pas de casquette partisane, telle la lutte antiterroriste ou la lutte anticorruption. Il y a aussi le concept d'unité nationale. Votre stratégie de communication en la matière me semble inachevée, ou bien vous êtes plutôt enclin à vous en tenir à la parole de l'action. La lutte antiterroriste est un slogan brandi par tous. Nous, on est dans l'action et on veut y être. Je tiens à rassurer les Tunisiens, nous irons jusqu'au bout de cette guerre, nous ne tergiverserons pas, nous n'avons plus le choix. Notre détermination est au maximum. Nous nous sommes jetés dans cette bataille totalement. J'ai vu des choses déconcertantes, des rapports troublants, des données effrayantes lors des réunions avec le ministre de l'Intérieur. On ne reculera point. Nous brûlerons les vaisseaux pour ne point revenir en arrière. Il n'y a pas de tabou dans cette guerre. Et la confiscation des biens des personnes arrêtées ? Elle est intervenue légalement. La commission de confiscation épluche ces biens minutieusement pour en déterminer l'origine. Dans une seconde phase, nous tenterons d'éviter les avatars de la gestion des biens confisqués en 2011. Et puis, nous créerons un fonds où l'argent de ces confiscations ira vers le développement dans les régions. La confiscation existe aussi dans les pays avancés. En France, il y a l'Agence nationale de confiscation des biens mal acquis. L'Ugtt est-elle votre allié dans cette guerre ? Oui absolument. C'est une partie essentielle de la lutte. La lutte anticorruption est-elle soutenue internationalement ? Oui, et beaucoup de dirigeants du monde entier m'ont téléphoné pour me soutenir dans cette lutte. Les dirigeants d'instances internationales aussi. La Tunisie est appuyée dans cette lutte autant que dans la lutte antiterroriste. * Cette interview a également été accordée à notre confrère Hafedh Ghribi, directeur de la rédaction d'Assabah