« La politique anticorruption est engagée en commune harmonie avec le président Béji Caïd Essebsi », a déclaré Youssef Chahed au sujet de l'opération Mani Pulite qui a permis l'arrestation de plusieurs personnes soupçonnées de corruption et de complot contre la sûreté de l'Etat. Le chef du gouvernement a donné une interview exclusive à nos confrères Soufiane Ben Farhat de La Presse et Hafedh Ghribi d'Assabah, parue ce matin du dimanche 4 juin 2017. Dans cette entrevue, il a surtout été question de lutte anticorruption. Chahed explique en substance que « la guerre anticorruption n'épargnera aucune personne compromise et ne protégera personne […] les gens vont s'habituer à ce type d'opérations, ce n'est pas des opérations ponctuelles ».
Au sujet de Chafik Jarraya, dont l'arrestation a ouvert le bal, le chef du gouvernement affirme « ne l'avoir jamais vu ni connu ». « Le parquet militaire, s'il se saisit d'une affaire, il le fait sur la base de l'opportunité des poursuites. Pour l'ensemble des arrestations, les enquêtes préliminaires ont pris des mois », dit-il, ajoutant : « quant à prétendre que c'est lié aux mouvements sociaux et protestataires, c'est faux. Les mouvements se poursuivent encore ». « Les huit personnes arrêtées jusqu'ici ne sont guère des enfants de chœur en fait. Il s'agit de gros pontes de la contrebande […] les huit personnes sont de gros poissons dont l'un est traduit devant la justice militaire. Ils répondent de faits graves et certains d'entre eux sont liés aux Trabelsia. Il y aura d'autres arrestations. Si nous avons eu recours à la loi sur l'état d'urgence, à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Il faut utiliser tous les moyens. L'Etat se rebiffe et se défend », a déclaré en substance Youssef Chahed.
Donnant des explications sur le déroulement de cette opération, effectuée dans la plus grande discrétion, Chahed précise justement que cette discrétion est voulue. « Nous avons travaillé en totale discrétion, dans le secret le plus absolu. Pour l'ensemble des arrestations, les enquêtes préliminaires ont pris des mois », souligne-t-il. Youssef Chahed ajoute qu'il s'agit « d'une politique méthodique de lutte anticorruption », expliquant que des centaines de dossiers ont été traduits en justice et qu'une batterie de mesures législatives a été mise en place afin de palier un vide juridique en la matière. Il ajoute aussi, que, dans cette guerre, le gouvernement a décidé « l'adoption de la stratégie nationale de lutte contre la corruption, le renforcement de la magistrature à différents niveaux, les confiscations et les arrestations des coupables ainsi que d'autres actions prévues », précisant que « 700 millions de dinars est le montant des sommes confisquées ces huit derniers mois ». Dans ce cadre, il explique que « cette confiscation est intervenue légalement. La commission de confiscation épluche ces biens minutieusement pour en déterminer l'origine. Dans une seconde phase, nous tenterons d'éviter les avatars de la gestion des biens confisqués en 2011. Et puis, nous créerons, un fonds où l'argent de ces confiscations ira vers le développement dans les régions. La confiscation existe aussi dans les pays avancés ».
Sur la question de savoir si le recours à la loi sur l'état d'urgence constitue un « désaveu de la justice ordinaire », Youssef Chahed explique que « les personnes assignées à résidence seront traduites devant la justice ordinaire. L'article 5 du décret instituant la loi d'urgence dit bien que les personnes sont assignées à résidence dès qu'elles constituent un danger public. D'autres arrestations sont prévues dans ce cadre ».
Youssef Chahed a réagi aux allégations de nombreux observateurs qui y ont vu une manœuvre politique et un règlement de comptes entre lobbyistes et barons de la contrebande. « J'entends certains le dire. Nullement. Il s'agit d'une campagne d'Etat, annoncée dès l'adoption du Pacte de Carthage […] je l'avais d'ailleurs invoquée lors de mon discours d'investiture devant le Parlement et j'avais dit que cela sera la priorité absolue de notre politique pénale. J'en avais parlé avec le ministre de la Justice qui s'est réuni avec les procureurs généraux et les magistrats du parquet pour faire en sorte que la lutte anticorruption soit une priorité ». Par ailleurs, Chahed explique que « l'UGTT est une partie essentielle de la lutte », ajoutant que la lutte anticorruption est soutenue internationalement. « Beaucoup de dirigeants du monde entier m'ont téléphoné pour me soutenir dans cette lutte. Les dirigeants d'instances internationales aussi. La Tunisie est appuyée dans cette lutte autant que dans la lutte antiterroriste ».
Dans cette entrevue, le chef du gouvernement a aussi répondu à la « prétendue campagne de calomnie orchestrée contre certains dirigeants de Nidaa Tounes », selon les dires de ce derniers. « Je suis issu de Nidaa Tounes et j'en suis fier […] Je nie catégoriquement viser le parti Nidaa Tounes, c'est insensé. J'ai de bonnes relations avec tous les élus de Nidaa. Certains veulent semer la zizanie et la discorde mais je reste à égale distance de tous les partis tels Nidaa, Ennahdha, Afek ou autres », a-t-il souligné, rejetant catégoriquement une éventuelle candidature à la présidence du parti.