Par M'hamed JAIBI La chute et la mort de Kadhafi ont laissé un grand vide en Libye où une révolution à plusieurs têtes a fini par compartimenter le pays face à la résistance passive de tribus restées attachées à des privilèges acquis sous l'ancien régime, à l'offensive du jihadisme exogène (Al Qaïda, Daech...) et aux prétentions légitimistes du général «à la retraite» Haftar qui rêve de réunifier le pays à l'aide de l'artillerie et de l'aviation d'une armée recomposée. Des élus modérés désavoués par les islamistes Le problème qui s'est posé en Libye, contrairement à la Tunisie, c'est qu'alors que chez nous tout le monde a entériné la chute du régime et s'est accommodé aux solutions semi-institutionnelles qui ont germé, en Libye, le parlement modéré élu était vite contesté aussi bien par certaines tribus kadhafistes que, bien entendu, par les islamistes qui, très divisés, avaient perdu les élections. Une situation chaotique qui a donné l'occasion à Haftar d'ambitionner de rétablir l'ordre et réunifier le pays. Mais, en une phase historique où la région arabe était le théâtre de conflits dominés par la rivalité sunnite-chiite en Syrie et en Irak et l'émergence de Daech, dans l'ombre du repli d'Al Qaïda, la Libye est devenue la cible idéale des jihadistes, notamment dans les zones côtières pétrolières, faciles d'accès par la mer. Un gouvernement d'union nationale qui peine Fort heureusement, les offensives menées en Syrie et en Irak contre Daech et le jihadisme, ont permis de desserrer l'étau autour de la Libye et de fournir un répit qui a permis de former le gouvernement d'union nationale de Faez Essarraj, reconnu internationalement. Cependant, ce gouvernement de coalition qui est officiellement soutenu par les islamistes, n'a pas en main tous les arguments. Il ne contrôle pas l'armée de Haftar, il est contesté par les deux parlements rivaux et il n'a pas de police efficace à son service. Car, aussi bien à Tripoli qu'à Benghazi, ce sont des groupes islamistes qui quadrillent la rue. Des négociations à répétition De ce fait, des négociations actives sont régulièrement menées en vue de «désarmer les milices rivales» ou de circonscrire les litiges et conflits entre elles. Ces négociations ont souvent pour théâtre la Tunisie où nos islamistes tunisiens sont parfois sollicités en coulisse, mais les islamistes libyens ne semblent pas vraiment rassurés par l'alliance de fait qu'entretient Haftar avec le régime égyptien ayant renversé les Frères musulmans. Et cette attitude n'est pas valable que pour la région de Tripoli, mais est également celle des islamistes de Benghazi qui ont dans leurs rangs de véritables radicaux dont des salafistes purs et durs bien que «non jihadistes». Une réalité fort complexe difficile à maîtriser Bref, la réalité libyenne sur le terrain est intriquée de manière fort complexe, sachant que les zones d'influence ne sont jamais exclusives, à l'image des territoires limitrophes avec la Tunisie où les groupes armés de Fajr Libya sont effectivement présents, mais où des prétentions tribales diverses font valoir leur légitimité, les armes à la main. D'où les revirements, les alliances conjoncturelles et tous les événements imprévisibles que peut donner à voir un pays en net déficit d'Etat. Certes, le gouvernement d'union nationale a représenté une avancée essentielle vers une unicité de l'Etat, mais l'unification de la sécurité intérieure et la mise en place d'une stratégie nationale de compromis définissant l'avenir du pays s'impose. Suivies, vraisemblablement, d'élections reconnues par tous les protagonistes.