Hier, la situation s'est dégradée dangereusement à Bechni et à Jersine (gouvernorat de Kébili) où les affrontements ont enregistré plus de 70 blessés, dont plusieurs à la chevrotine. Pour le moment, on soigne les blessés et on appelle à la retenue, alors que des renforts sécuritaires et militaires sont dépêchés sur les lieux pour arrêter les violences Les chiffres sont inquiétants et alarmants : les heurts qui opposent depuis quelques jours les habitants de Bechni relevant d'El Faouar et ceux de Jersine relevant de la délégation de Kébili-Sud ont fait 78 blessés dont plusieurs à la chevrotine. Motif de ces actes de violence : un désaccord sur la définition des limites entre les deux villages. Autrement dit, les frontières entre Bechni et Jersine (comme s'il s'agissait de deux pays indépendants et souverains ayant des conflits frontaliers datant généralement des époques coloniales) constituent un objet de conflit qui couvait depuis longtemps et qui s'est réveillé quand les habitants de l'une des deux localités ont décidé de retracer ces mêmes frontières. Du côté du gouvernorat, Sami Gharbi, gouverneur de Kébili, assure qu'il a été convenu que le conflit sera résolu après le mois de Ramadan, avec la participation des conseils de gestion des deux villages. Cette décision a été prise lors d'une réunion de réconciliation tenue, jeudi dernier, au siège du gouvernorat. Ce sont les données officielles révélées jusqu'ici sur le déclenchement de cette crise opposant les citoyens de deux localités voisines appartenant à deux délégations du même gouvernorat, en l'occurrence Kébili. Restent les interprétations que suscite ce conflit, les dessous ou les intérêts qui ont poussé à son éclatement, le timing choisi par «les belligérants» (même si l'utilisation de ce terme est exagérée) pour le réveiller et l'approche suivie par les autorités régionales pour trouver la solution à même de satisfaire les partenaires au conflit. En attendant la décentralisation D'emblée, il est utile de rappeler que le conflit Bechni-Jersine n'est pas le premier du genre. Bien d'autres affaires similaires ont éclaté dès les premières semaines de la révolution, entraînant des actes de violence aussi déplorables que ceux survenus, hier, et occasionnant même la mort de certains jeunes qui ont participé aux affrontements survenus, à titre d'exemple, à Jebeniana, entre les Msatria à leurs «ennemis», leur reprochant «les largesses dont ils bénéficiaient injustement aux époques Bourguiba et Ben Ali», ainsi que les heurts et violences ayant eu lieu à Métlaoui concernant «la propriété contestée de plusieurs terres agricoles, outre la mainmise qu'exerçaient certaines familles proches du pouvoir et de l'Ugtt sur la quote-part réservée à la ville en matière de recrutement dans la mine». A l'époque, le gouvernement provisoire dirigé par Béji Caïd Essebsi a laissé aux notabilités de ces régions la responsabilité de régler, à leur façon, ces conflits. Cette décision était, peut-être, au vu de l'effervescence révolutionnaire de l'époque, la meilleure décision à prendre. Sauf qu'en juin 2017, les choses ont changé radicalement, le pays étant doté de structures stables, il n'est plus acceptable que le gouverneur de la région, la première autorité représentant l'Etat à Kébili, se contente d'ouvrir le gouvernorat à des réunions de réconciliation et d'appeler les «belligérants» au calme et à régler leurs différends par le dialogue. Certains observateurs qui suivent les événements avec un œil se projetant sur le futur immédiat avertissent déjà sur «les conflits et les différends qui naîtront quand la loi sur les collectivités locales sera adoptée et que plusieurs régions ou plutôt leaders régionaux découvriront que leurs attentes ou ambitions ne seront pas satisfaites». Ces mêmes observateurs ajoutent : «Les prochaines élections municipales de fin décembre 2017 se dérouleront sur la base du code des collectivités locales datant de 1975 et l'on se demande comment le gouvernement aura à gérer les résultats qui en découleront quand le nouveau code des collectivités locales, à l'examen actuellement au Parlement, sera adopté». Le timing des événements à Bechni et Jersin est à approcher aussi sérieusement que possible. Faut-il rappeler à ceux qui appréhendent ces événements comme étant un conflit local voire communal, d'une importance réduite ou insignifiante que l'affaire intervient au moment où les entreprises pétrolières à Kébili et à Médenine sont en cessation de production et que les protestataires d'El-Kamour dont le nombre régresse de jour en jour continuent à faire la sourde oreille aux propositions du gouvernement et à faire perdurer le suspense quant à l'initiative de Noureddine Taboubi, secrétaire général de l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt), proposant ses bons et loyaux services en vue de régler la crise. Quant aux dessous de l'éclatement des événements de Bechni et Jersine, il ne faut pas être un grand analyste ou un stratège politique pour comprendre que «les concepteurs de l'affaire sont convaincus que c'est maintenant ou jamais qu'il faut changer la donne sur le terrain». Restent les partis politiques au pouvoir ou dans l'opposition censés encadrer les citoyens pour s'assurer au moins leurs voix aux prochaines municipales à défaut de réaliser leurs revendications actuelles, ils brillent malheureusement par leur absence sur le terrain et leur silence médiatique, attendant que les choses s'éclaircissent afin de choisir où se positionner.