Au fil des ans, Jellal Gasteli, probablement le plus connu des photographes tunisiens à travers le monde, acquiert une grande maîtrise dans le travail sur l'ombre et la lumière. Dans ce nouveau projet artistique sur les fragments de murs de plusieurs villes, né des carnets de voyages de son ami Abdelwahab Meddeb, et exposé à l'Institut français de Tunis (IFT), il poursuit sa quête de mise en valeur des contrastes. Ses pérégrinations esthétiques, et toujours très spirituelles, s'habillent de couleurs cette fois-ci. Comment est né ce projet inspiré des carnets de voyage de l'écrivain Abdelwahab Meddeb ? L'histoire a commencé en novembre 2015. Cela faisait peu de temps que Abdelwahab Meddeb avait décédé. Dans l'appartement que sa femme Amina occupait à Marrakech, je tombe sur des carnets de voyage manuscrits et inédits déposés dans des boîtes en carton. Abdelwahab y consignait ses impressions de voyage. Je propose à Amina d'en faire quelque chose qu'Abdelwahab aurait aimé réaliser avec moi. Mais il faut dire que j'ai mis pas mal de temps pour trouver un angle à ce projet. Je me suis longtemps demandé : «Qu'est-ce que toi photographes peux rajouter de plus à ces carnets tellement précis sans tomber dans l'illustration, le cliché ou le reportage orientalisant ? D'autre part, en lisant ses textes manuscrits, j'ai eu beaucoup de mal à les déchiffrer. Mais lorsque je me suis remémoré le rythme de diction de Abdelwahab Meddeb, j'ai trouvé le tempo qui me permettait de lire ses impressions de voyage. J'étais enfin dans ses pas tout en m'inventant des balades avec lui». Pourquoi avoir choisi de commencer ce parcours artistique avec les murs de la ville de Marrakech ? C'est un concours de circonstances. D'une part, je suis tombé sur ces carnets à Marrakech. Et d'autre part, Amina a pris très vite des dispositions pour qu'un ami habitant cette ville puisse se charger de la logistique de la production de mon travail photographique. Tout s'est organisé, d'une façon totalement libre et indépendante et en dehors des circuits de financement institutionnel. Une chose me plaît dans cette aventure : à chaque étape est associé d'une manière naturelle et inattendue quelqu'un qui vient se joindre au projet dans une sorte d'amicale cooptation. L'idée du projet s'est imposée d'elle-même : travailler sur les fragments de murs des villes par lesquelles est passé Abdelwahab Meddeb : Tunis, Le Caire, Berlin, Jerusalem, Vilnius.... J'ai découvert, par la suite, que chaque ville se révélait sous une identité visuelle différente. Le Caire par exemple était reconnaissable à ses couches de poussières sur les murs. C'est comme si la poussière finissait par praliner les choses...A Jérusalem, j'ai retrouvé des inscriptions sur l'amour en arabe et en hébreu sur le même fragment de mur. Dans quel endroit du monde peut-on trouver une telle juxtaposition ? Le mysticisme vous unit Abdelwahab Meddeb et vous. Mais est-ce le seul point de convergence entre vous deux ? Il était poète. Je ne prétends pas l'être. Mais je porte une démarche artistique... et, à un moment, ces affinités finissent par se retrouver. On avait tous les deux une sorte de retenue par rapport aux gens. La série Blanche que j'ai réalisée sur l'architecture vernaculaire de Djerba, où il me définissait comme soufi, lui a inspiré son texte Blanches traverses du passé, pour lequel nous avons conçu ensemble un livre d'artiste publié chez Fata Morgana en 1996. Cela me flattait... Je suis convaincu qu'on aurait eu beaucoup de plaisir à travailler ensemble dans cet esprit où peu importe que la photo illustre le texte ou l'inverse. Mais que la juxtaposition des images et des textes crée un troisième sens, un support pour réfléchir et rêver...