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Du fantastique le plus débridé avec le réalisme le plus prosaïque
Hommage à Abdelwahab Meddeb (1946-2014)
Publié dans La Presse de Tunisie le 01 - 01 - 2000


Par Mohamed Ridha BOUGUERRA
«On l'enterra, mais toute la nuit funèbre, aux vitrines éclairées, ses livres, disposés trois par trois, veillaient comme des anges aux ailes éployées et semblaient, pour celui qui n'était plus, le symbole de sa résurrection» Marcel Proust.
Je voudrais rendre un amical et bien triste hommage à un ami et ancien condisciple que j'ai connu, en 1965, à la Faculté des Lettres 9-Avril et dont je viens d'apprendre avec consternation la brusque disparition. Pour ce faire, je donne ici l'essentiel de l'analyse de certains de ses ouvrages que je lui ai consacrée dans une étude que j'ai publiée, en collaboration avec Sabiha Bouguerra, en 2010. Histoire de la littérature du Maghreb. Littérature francophone. Paris, éditions Ellipses, 2010, p. 66 et passim.
«Talismano (1979) d'Abdelwahab Meddeb sous-titré «roman», s'inscrit parmi ces textes d'auteurs maghrébins, — Khatibi ou Khaïr-Eddine, par exemples, — où la révolte contre les pouvoirs nouvellement établis, après l'Indépendance, s'exprime, depuis le milieu des années soixante, en tordant le cou à la rhétorique et à la syntaxe ordinaires tout en subvertissant les genres et en refusant, principalement et explicitement, les conventions qui régissent le romanesque. Aussi Meddeb, parlant de son «appropriation» de la langue dont il se sert et qui «symbolise métropole et attirance historique vers ce qui récemment participa à la domination du monde», signale «les petites infamies des transgressions mineures» qu'il se permet, écrivant, ainsi, «dans une instance séparée de sa convention». D'autre part, et, à l'instar d'un Mohammed Khaïr-Eddine, le romancier cultive le fantastique le plus débridé conjugué avec le réalisme le plus prosaïque, donne dans le scatologique en décrivant des personnages à tendance coprophile et multiplie les scènes d'ébats érotiques. D'un autre côté, il compare les qualités spécifiques à la calligraphie arabe et celles propres à la peinture religieuse occidentale, étudie la problématique de l'écriture en convoquant Ibn Khaldoun et Dante, Ibn Batûtta et Hermann Hesse, Ghazali et Hölderlin. Il se préoccupe aussi de politique et dénonce «la nationalisation» de la répression qui suivit l'indépendance, procède à une étude comparée des différentes stratégies pour maîtriser l'espace public au Caire, à Marrakech et Tunis, déplore, encore, la rhétorique arabe qui se complaît dans un prestigieux passé sans se soucier de remédier au retard de nos sociétés. En outre, l'inscription explicite du moi de l'auteur dans le texte donne à ce premier roman une dimension égotiste et narcissique comme en témoignent certains passages dont la substance se retrouvera, vingt ans plus tard, en des termes très proches dans le beau texte d'inspiration autobiographique, «La Maison de l'araucaria» d'Aya dans les villes (1999).
Dans Talismano, la diégèse, à travers la déambulation du narrateur de retour dans sa ville natale, consiste à peindre à la Jérôme Bosch un imaginaire, baroque, frénétique et orgiaque sarabande de derviches en transe, sorcières en furie et autres matrones échevelées. Mais cet étonnant et infernal sabbat pour donner à voir «le délire d'une ville» ou à «écrire et [à] dire Tunis rêvée rebelle» s'avère, finalement, un prétexte pour l'auteur qui conçoit l'écriture comme manière, dit-il dans une intéressante formule, d'«ordonner le réel par l'imaginaire, son fidèle transcripteur». Pour Meddeb, l'essentiel est d'exprimer, aux moyens qu'offrent «écriture désarticulée, histoire disloquée», le malaise d'un intellectuel arabe qui n'accepte pas la confiscation de l'indépendance et l'instauration d'un «pouvoir flicard», ni la décadence du monde arabe et son «évidente blessure» qui a pour nom Palestine. Aussi, et pour mettre encore davantage en exergue les richesses tant thématiques que stylistiques de cette œuvre si singulière, ne peut-on que rappeler la conclusion d'un article paru dans Le Monde daté du 22 février 1980, donc contemporain de la publication du roman, et où Jacques Berque inscrit Talismano,avec sa «recherche» et son «blasphème», «parmi ce qui nous est venu de plus fort du Maghreb depuis Kateb Yacine».
Phantasia (1986), le second roman de Meddeb, est, cependant, beaucoup moins échevelé, plus conventionnel même que le premier, principalement, au niveau de l'expression. On a beau rencontrer encore, de temps à autre, le récit de quelque cauchemar et la description de quelque vision intérieure ou scène érotique, récurrentes dans Talismano, on ne demeure pas moins bien loin de l'atmosphère sombre et fuligineuse, fastueuse et baroque qui fait l'intérêt de ce roman. Phantasia est, cependant, un roman aussi peu romanesque que ce dernier, sinon davantage. L'écrivain qui se réclame de l'auteur des Essais, entend, comme Montaigne, procéder librement en notant ses idées. À l'exemple de son célèbre devancier, Meddeb écrit à bâtons rompus, enchaînant idées et digressions, «épousant le halètement du siècle», «à l'affût de l'altérité pour mieux revenir à soi». Se trouvent ainsi abordées des questions aussi diverses que celles de l'exil, du cosmopolitisme et du «ferment de l'hétérogénéité», éléments constitutifs de ce que Meddeb nomme «l'empire» mais absents aujourd'hui, constate-t-il, des terres d'Islam d'où l'esprit s'est évanoui ne laissant que des cités réduites à des «enveloppes poussiéreuses». Aussi, l'auteur se présente-t-il, à la fois, «portant le deuil» mais portant également «au cœur les traces d'Ibn Arabi, de Sohravardi, vestiges de l'ère impériale». L'ouvrage fourmille ainsi de réflexions sur l'actualité de l'Islam, soumise au «primat politique» et prise dans «la fange de l'idéologie», s'arrêtant ainsi sur Beyrouth écrasé sous les bombes de Tsahal ou sur un attentat terroriste à Téhéran, il n'en est pas moins émaillé de pertinents rappels historiques et d'intéressantes comparaisons esthétiques. Mais comme l'écriture de l'auteur cultive souvent la dimension autobiographique, Phantasia qui est hanté, dès l'ouverture, par le souvenir obsessionnel d'un jardin longuement évoqué dans les dernières pages, offre un premier crayon de ce qui s'épanouira, plus tard, dans «La Maison de l'araucaria». Ainsi, le roman répond au vœu de l'auteur et «juxtapose aux paysages du dehors les visions du dedans».
C'est là, précisément, la matière de deux autres ouvrages sans indication de genre,Blanches traverses du passé (1997) et Aya dans les villes (1999) et où, s'adonnant à son exercice préféré, celui de la digression, Meddeb produit deux superbes essais faits de souvenirs, réflexions et impressions de voyage dénués de tout exotisme. Le langage mystique auquel l'essayiste a souvent recours, et qui imprègne l'ouvrage, se retrouve dans Les 99 stations de Yale (1995) inspiré des Haltes de Niffari, un soufi du Xe siècle.
Aya dans les villes rassemble une dizaine de textes, comme autant de perles d'un collier, réunis grâce au fil du souvenir des pérégrinations de l'auteur autour du monde avec Aya, sa compagne déjà rencontrée dans Phantasia. La plupart de ces récits, hormis le dernier consacré à la maison natale de l'écrivain et à ce que sa mémoire en garde, célèbrent des lieux chargés d'histoire et, souvent, de religion, voire simplement de religiosité, dont la Caaba et le site de Wadi Moussa et Djebel Haroun, le Mont Hor des Hébreux. Au fil des pages, ce sont les rapports de l'auteur à la religion et au passé qui se font jour. Certes, Meddeb a beaucoup fait pour fournir une image renouvelée de l'Islam, voire du soufisme, comme en témoignent ses émissions radiophoniques sur France-culture ou Médi-I destinées à présenter un Islam tolérant et ouvert, ou encore ses chroniques, Contre-prêches (2006) ou Les Dits de Bistami (1989). Il ne faut pas, néanmoins, s'attendre de sa part à une adhésion aveugle à la foi de ses coreligionnaires et dénuée de toute critique. Ainsi, aux pèlerins qui le dévisageaient avec désapprobation au sanctuaire de Moulay Idriss, au Maroc, le visiteur, dont la mise différait de celle de tous ces assistants imbus de leurs croyances et préjugés, se demandait en s'adressant à lui-même à la deuxième personne : «Comprendraient-ils si tu leur disais que le Coran ne t'apporte pas une loi, mais l'expérience d'une musique, qu'à sa récitation tu prospectes pour rien l'invisible dans le culte de la beauté que ravive sur les sentiers du monde la recherche assidue d'Aya ?». On comprend, dès lors, que ces voyages qui conduisent l'auteur à maints sanctuaires et lui inspirent le «désir fou de l'ubiquité», «vont de pair avec la quête de soi» comme il le reconnaît à l'occasion de son pèlerinage à La Mecque.
Cette quête s'exerce même si le lieu visité est païen, pourvu qu'il soit chargé d'histoire, nous informe Meddeb dans une page à propos d'une promenade sur un site archéologique carthaginois où une tombe musulmane a été récemment exhumée. Il y a là une rencontre enrichissante pour le visiteur qui voit dans l'«entretien avec les morts, dans cette quête de l'ancien qui féconde l'avenir», un élargissement de ses sources et, il poursuit ainsi : «Je fais cohabiter en moi cette double généalogie arabe et latine, païenne et monothéiste, pacifiant les inconciliables, colmatant la rupture, soudant la fracture, renouant les fils coupés, je rassemble les fragments épars de la mémoire qui informe ma terre natale». L'écrivain se place donc dans une filiation qui remonte aux premiers poètes arabes avec lesquels il partage «la mélancolie du nostalgique» qui l'étreint «dès que je foule le sol du passé», dit-il. L'auteur considère, en effet, que «la pluralité des lieux et des espaces illustre l'hétérogénéité du Réel» — Réel conçu, rêve et réalité mêlées, comme il l'écrit dans son recueil, Matière des oiseaux (2001). C'est dans cette hétérogénéité que réside, également, une part de l'intérêt des pages du si poétique Tombeau d'Ibn Arabi (1987 et 1995) où Aya se confond avec «la médiévale Nidam, la jeune persane» dont s'éprit Ibn Arabi et qui fut l'inspiratrice de l'un de ses recueils de vers.
Plus essentiel encore pour nous, aujourd'hui, il y a dans l'attitude si humaniste, tolérante et ouverte de Meddeb le plus cinglant démenti aux théoriciens frileux du fameux choc des civilisations.


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