Fawzi Mellah retrace le périple d'un royaume naissant sous un pacte de sang entre les hommes de la mer et les indigènes africains, teinté d'une étonnante réflexion sur le matriarcat qui protège, conserve, perpétue et unit; alors que les arrogances du patriarcat dispersent et cèdent aux appels de la vanité et de la force. Une nouvelle cité qui offrira à l'éternité deux visages de femmes : Tanit et Elissa. Un vieillard délabré, myope et comme vissé à des pierres muettes, une loupe à la main... et armé de la seule hypothèse qu'elles portent une longue lettre de Elissa à son frère Pygmalion. C'est le grand-père du narrateur, car sa famille détenait deux cent cinquante stèles que l'on croyait perdues. Des blocs de pierre d'un seul tenant portant généralement des inscriptions de nature commémorative, funéraire, religieuse ou géographique. Mais rien ne s'opposait en principe à ce qu'elles servent de pages à une missive d'une souveraine, Elissa, à un autre souverain, son frère roi de Tyr. Mais ce n'est pas aussi simple car des dizaines de siècles ont gâté la pierre, obligeant le narrateur à combler les vides, réécrire le texte. Elissa était «raciste» ?! Une dizaine de navires, une centaine d'hommes, vingt-sept vierges, une ruse grossière pour berner des indigènes qui n'oublieront pas la chose. Et voilà Elissa qui fonde une nouvelle cité ; Carthage. Les indigènes africains se méfiaient de la duplicité des hommes de la mer, de leurs ruses et de leurs menaces de domination. Il y avait réticence à se mêler les uns aux autres et cela pouvait menacer, voire mettre fin au royaume naissant. Le danger était réel et Elissa ne voyait d'autre alternative que d'épouser elle-même un prince indigène pour sceller à jamais un pacte de sang entre les marins et les terriens. Mais ce mariage d'intérêt ne sera jamais consommé puisque Elissa concevait dès le début qu'elle s'immolera tout de suite après la cérémonie pour que sa pureté ne soit pas souillée. Aujourd'hui, on pourrait dire que Elissa était «raciste» ?! Quoi qu'il en soit, le tour sera joué, comme elle le dit dans sa lettre : «Je m'immolerai avant que cet homme me touche. Devenu mon époux, il ne pourra contester l'existence de mon peuple sur ses terres. Ainsi ma communauté se maintiendra-t-elle ici dans la dignité et la sûreté qu'autorise l'alliance conjugale... Le brassage que j'ai tant souhaité serait alors l'ultime étape de ma fuite ; il lui donnerait un sens». Un sens que la princesse oppose à la folie de l'arbitraire de son frère qui usurpa sa couronne et qui assassina son seul amour pour les vices de fond qui habitaient la folie de ce monarque à l'heure où cela voulait dire l'absolu de la soumission ou la mort (ou la fuite). Attention à la chute du matriarcat ! Il fallait du courage pour affronter la mer, et voici une dizaine de navires prenant le large, une centaine d'hommes dont les vrais seigneurs du royaume qui ont préféré suivre Elissa, vingt-sept vierges prises à Chypre au passage. La fuite, le destin qui se jouait entre la mer et la terre ont entraîné les fuyards, gens de qualité et d'honneur, à longuement cogiter sur l'usurpation de la couronne de Tyr qui revenait normalement à Elissa en tant que sœur aînée. Elle le dit dans sa lettre : «Ils en ont conclu que les plus grandes calamités phéniciennes seraient liées à la chute du matriarcat et aux arrogances du patriarcat. Ils ont su, mieux que quiconque, qu'une femelle protège, conserve, perpétue et unit ; alors que le mâle défend, disperse et cède aux appels de la vanité et de la force. Ainsi ont-il décidé de lier la fondation de notre nouvelle cité aux visages de deux femmes : Tanit et Elissa». Des femmes qui ont tout de suite senti comme une odeur de singularité dans cette colline parfumée que la ruse avait ceinturée par la fine lamelle de cuir de bœuf et qui permit, dans ce beau rien de bord de mer où il n'y avait pas âme qui vive, de faire éclore la ville nouvelle. Cette cité naissante qui portera pour des siècles et même au-delà (pour le souvenir) le quasi-prestige d'un phare ou peut-être de ce que Fawzi Mellah appelle "Primum mobile" qui est, littéralement, un cadran qui reproduit le mouvement diurne des étoiles et le mouvement annuel du soleil sur le fond étoilé, mais qui est bien plus que cela ; un repère, une balise et un exemple. Elissa, la reine vagabonde, 196p., mouture française Par Fawzi Mellah Editions Déméter, 2017