Sans un cadre juridique qui doterait les commissions parlementaires de larges prérogatives, toute tentative de mener de sérieuses investigations sur une affaire quelconque serait vaine et se solderait par un échec Après une rupture qui a duré plusieurs semaines en raison notamment du changement intervenu à sa tête, la commission d'enquête sur les réseaux d'envoi des jeunes Tunisiens dans les zones de conflits s'est réunie lundi 10 juillet, au siège de l'ARP, sous la présidence de Hela Omrane, qui a remplacé au pied levé sa collègue Leïla Chettaoui exclue du groupe parlementaire de Nida Tounès «pour avoir enregistré et fuité les discussions du comité politique du mouvement », selon la direction du parti. Entre-temps, Chettaoui, qui était à l'origine de la création de cette commission, a rejoint le groupe «Al Horra» de «Mashrou Tounès» et réintégré la commission. Chassée par la porte, elle est revenue par la fenêtre ! Le débat a été électrique, à la limite de l'agressivité. D'emblée, l'ancienne présidente s'est interrogée sur les raisons du non envoi d'une correspondance adressée au parlement syrien, pour obtenir des informations sur les parties qui ont facilité l'envoi des jeunes pour combattre dans les rangs des organisations terroristes, comme il en a été convenu au cours de la réunion du 14 avril dernier. D'autant, a-t-elle insisté, que la partie syrienne a fait part de la disposition d'apporter son aide à ce sujet. Son collègue Sahbi Ben Fredj, l'un des députés qui étaient en voyage à Damas et qui ont rencontré le président syrien Bachar Assad, est allé plus loin en menaçant de faire la lumière sur les parties au sein de l'administration de l'ARP qui entravent les travaux de la commission. Des accusations d'une extrême gravité Leïla Chettaoui a balancé des accusations d'une extrême gravité. Elle a affirmé que « 200 associations caritatives et religieuses constituées après septembre 2011 avec la bénédiction d'un parti politique » qu'elle a évité de nommer, « ont été impliquées dans l'endoctrinement et l'embrigadement des jeunes ». Financées, selon ses dires, par l'Etat de Qatar, ces « associations avaient reçu des virements allant de 100.000 à trois millions de dinars chacune. « Le mufti de Daech, a-t-elle souligné, un Saoudien aujourd'hui en prison, était venu en Tunisie en décembre 2011 », juste après les élections de l'Assemblée nationale constituante qui ont vu l'arrivée au pouvoir de la Troïka formée du mouvement Ennahdha et des partis CPR de Moncef Marzouki et Ettakatol de Mustapha Ben Jaâfar. Il avait été accueilli à bras ouverts pour participer à «la transformation des réseaux salafistes du pays en réseaux salafistes jihadistes». Ces déclarations ont fait réagir les membres nahdhaouis de la commission. Noureddine Bhiri, le président du groupe parlementaire, a déclaré que les accusations de Leila Chettaoui ne font qu'envenimer la situation et ne permettent pas de lever le voile sur la vérité. Il ne faut pas, a-t-il ajouté, «anticiper les travaux de la commission en avançant de fausses accusations et perturbant ses activités par des déclarations irresponsables». De son côté, le rapporteur de la commission, la députée Farida Labidi du mouvement Ennahdha, a expliqué que l'absence de cadre juridique organisant les commissions d'enquêtes parlementaires risque d'impacter les travaux de la commission. Elle a appelé à plus de « transparence et d'impartialité », pour ne pas tomber dans les tiraillements politiques. A son tour, la nouvelle présidente de la commission, Hela Omrane, s'est déclarée contre le recours à des parties étrangères pour chercher la vérité parce que, selon elle, « tout contact avec la partie syrienne exige de se conformer aux traditions diplomatiques tunisiennes ». Pourtant, dans une déclaration à Mosaïque FM, elle a reconnu que des pays étrangers étaient impliqués dans l'acheminement de ces jeunes dans les zones de conflits. Elle a, également, appelé Leïla Chettaoui à fournir à la commission « les preuves qui corroborent ses accusations ». Sinon, elle devrait cesser de déclarer à qui veut l'entendre qu'elle détenait la vérité sur les filières d'envoi des jeunes Tunisiens vers les zones de conflits. Pour ne pas influencer les travaux de la commission. Commission handicapée La commission est née avec un handicap majeur. L'absence d'un cadre juridique qui définit les missions des commissions parlementaires ne permet pas de mener à bien les investigations et, subséquemment, elle ne saurait aboutir à des résultats palpables. Car, enquêter sur les responsabilités de l'endoctrinement, l'embrigadement et l'envoi des jeunes Tunisiens vers les zones de conflits touche des réseaux très larges impliquant des partis politiques, des associations et des parties étrangères. Déjà, des soupçons pèsent sur de nombreuses personnalités qui étaient au pouvoir et elles sont souvent citées nommément parce que, dans l'exercice de leurs fonctions, elles avaient facilité, par leur impassibilité, le transfert des jeunes. Aussi, faudrait-il rappeler que plusieurs autres commissions ont été créées et dont les travaux n'avaient abouti à aucun résultat concret. La plus importante d'entre elles est la commission d'enquête sur l'assassinat de Ckokri Belaid. Sans un cadre juridique qui doterait les commissions parlementaires de larges prérogatives, toute tentative de mener de sérieuses investigations sur une affaire quelconque, serait vaine et se solderait par un échec.