Par Brahim OUESLATI Au cours de la plénière de jeudi dernier, réservée à l'audition du chef du gouvernement Youssef Chahed sur la guerre contre la corruption et la situation générale dans le pays, certains députés n'ont pas manqué de relever une « mésentente » entre les deux chefs de l'exécutif sur la conduite de cette guerre. Ammar Amroussia, du Front populaire, est même allé loin en déclarant à haute voix que c'est le président de la République qui a établi la liste des personnes à arrêter, comme si le chef du gouvernement n'était qu'un simple exécutant ! De son côté, le président du groupe parlementaire de Nida Tounès, Soufien Toubal, le dernier à intervenir dans le débat, a salué l'apport du président Béji Caid Essebsi, qu'il a cité par deux fois au moins, dans cette campagne menée tous azimuts contre les corrompus et les contrebandiers. D'ailleurs, aussi bien dans leurs communiqués que dans leurs déclarations, les dirigeants de Nida Tounès font ressortir le rôle prépondérant du chef de l'Etat au détriment de celui du chef du gouvernement, une manière de lui tirer le tapis sous les pieds et lui glisser un message codé, c'est lui le chef de guerre, pas toi ! Doutes... Ce comportement ne fait qu'ajouter aux doutes que certains émettent sur la volonté du gouvernement d'aller de l'avant dans cette guerre et à leurs déclarations sur la politique de sélection qui l'entache. Et sur les parties qui tentent de la stopper, de peur qu'elle ne se propage pour les toucher parce que se sentant visées. Cette manière de semer la zizanie entre Carthage et La Kasbah a connu une nouvelle dimension suite aux déclarations de la directrice d'une radio privée, Cap FM, sur les supposées menaces proférées à son encontre par le dirigeant de Nida Tounès, Borhen Bsaies qui, selon ses propos, lui a fait part d'un « conflit larvé » entre le président de la République et le chef du gouvernement. Le terme « conflit larvé », s'il venait à être confirmé, serait très fort et mal à propos. Il pourrait donner matière aux interrogations sur les intentions des uns et des autres et leurs magouilles pour brouiller l'entente entre Béji Caid Essebsi et Youssef Chahed. Ce dernier a déclaré que la guerre contre la corruption a été décidée en plein accord avec le président de la République qui, à son tour, a fait part de son soutien eux efforts du gouvernement dans sa politique contre ce fléau. Youssef Chahed a été proposé par Béji Caid Essebsi pour présider le gouvernement d'union nationale issu de son initiative annoncée il y a une année. Mais, une fois investi, il a commencé à prendre, peu à peu, ses distances par rapport aux partis politiques et notamment son propre parti, Nida Tounès. Ses rapports avec le directeur exécutif, Hafedh Caïd Essebsi, ne sont pas au beau fixe et les fuites enregistrées ont contribué à les refroidir davantage. L'arrestation de l'homme d'affaires Chafik Jarraya, réputé proche de certains dirigeants de Nida, a fini par les rendre exécrables. ... et ambiguïtés Cette situation est génératrice d'ambiguïtés dans les rapports entre le chef de l'Etat et le chef du gouvernement. Ambiguïtés déjà contenues dans la Constitution de janvier 2014 et la définition du partage des pouvoirs entre les deux. « Le président de la République détermine les politiques générales dans les domaines de la défense, des relations étrangères et de la sécurité nationale relative à la protection de l'Etat et du territoire national contre toutes menaces intérieures ou extérieures après la consultation du chef du gouvernement » (article 77). Mais c'est le chef du gouvernement qui « détermine la politique générale de l'Etat ... et veille à sa mise en œuvre » (article 91). C'est un régime «hybride», un croisement entre le régime parlementaire et le régime présidentiel qui ne conviendrait pas à une jeune démocratie naissante. Contrairement à son prédécesseur Moncef Marzouki qui a été porté à Carthage par la Constituante et s'est contenté d'inaugurer les chrysanthèmes, Béji Caïd Essebsi, fort de son expérience d'homme d'Etat, entend marquer son carré et imposer sa marque dans la conduite des affaires du pays. La marque d'un président seul « maître des horloges ». Elu au suffrage universel, doté de prérogatives constitutionnelles assez importantes, et soutenu par son parti arrivé en tête des élections législatives d'octobre 2014, il a déjà imprimé son empreinte à la marche du gouvernement et garde un œil vigilant sur son comportement. L'arrivée de l'ancien conseiller économique de la présidence, Ridha Chalghoum, à La Kasbah pour occuper l'important poste de directeur de cabinet du chef du gouvernement est interprétée comme un signe de raffermissement des liens entre les deux lieux du pouvoir. Les personnes qui, voulant servir l'un ou l'autre, en semant un petit grain de zizanie sourde qui pourrait éclater en guerre déclarée, doivent se rendre à l'évidence : un tel comportement risque de nuire beaucoup plus à ses auteurs qu'aux institutions de l'Etat. Car, qui sème la zizanie récolte l'opprobre.