Par Brahim OUESLATI L'évènement de la semaine écoulée a été, sans conteste, l'interview du président du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, diffusée jeudi 1er août sur la chaîne Nessma TV. Elle a valu beaucoup plus par le nouveau look du « Cheikh », qui préfère se faire appeler « professeur », que par son contenu. Les commentateurs ont beau chercher à décrypter le message codé qu'il voulait envoyer mais se sont, pour la plupart, perdus en conjectures en élaborant des hypothèses et des supputations, pour échouer, in fine, à le décoder. Tant il est vrai que Ghannouchi a surpris tout le monde en apparaissant dans un costume « dark blue » avec une chemise blanche manches simples et une cravate bleu marine, assortie et bien nouée à son cou. Les hommes politiques ont, en effet, tendance à mettre une cravate de grande marque, mais toujours dans les mêmes tons : le bleu marine, bordeaux ou rouge. Son habilleur lui a choisi le bleu marine, souvent porté par son « ami » Béji Caid Essebsi, mais aussi par la plupart des hommes politiques européens, pour le débarrasser de l'image du chef de tribu qui lui colle à la peau et le faire apparaître dans les habits d'un homme d'Etat. « La cravate est une partie essentielle et obligée du vêtement qui, dans ses formes variées, apprend à connaître celui qui la porte », écrivait, en 1927, Honoré de Balzac. L'apparition du président d'Ennahdha a éclaboussé, au moins, un autre événement d'une grande importance, la vague d'incendies qui faisait rage dans le Nord et le Nord-Ouest du pays. Déclarés depuis samedi dernier, ces incendies, les plus dévastateurs au cours des dernières années, se sont rapidement propagés pour toucher plusieurs zones, ravager des centaines d'hectares de forêts et de végétations, détruire des habitations et menacer des populations. Cette région considérée comme « le château d'eau, le grenier et le poumon du pays » renferme à elle seule plus des trois quarts des réserves d'eau et dispose de plus de 50% de ses ressources forestières. Depuis une semaine, pompiers, militaires, agents forestiers et citoyens luttent, de manière acharnée et dans des conditions très difficiles, contre le feu. Tous les moyens ont été mobilisés par le gouvernement pour venir à bout du feu, limiter la catastrophe et porter secours aux populations en danger. Plusieurs familles ont été évacuées après la destruction de leurs habitations. Le chef du gouvernement, Youssef Chahed, qui s'est déplacé sur les lieux pour mesurer l'importance des dégâts et superviser les opérations, a promis de dédommager les familles sinistrées. Il a dû se rendre compte de la limite des moyens de lutte contre de telles catastrophes. Pendant ce temps, les partis politiques continuent de pérorer sur les déclarations de Rached Ghannouchi, ses intentions pour 2019, la couleur et la signification de sa cravate qui fait diversion et divise la classe politique. A part un communiqué laconique de Nida Tounès dans lequel il rend hommage aux forces de la protection civile et de l'armée pour leur combat héroïque contre le feu et où il appelle le gouvernement à renforcer les moyens des unités de la protection civile et à soutenir les populations sinistrées, aucun autre parti, à notre connaissance, n'a réagi face à cette catastrophe. Même le déplacement de certains politiques sur les lieux des incendies a tourné à l'exhibitionnisme. On ne lutte pas contre un incendie en se faisant photographier avec un sceau à la main pour faire publier la photo sur sa page Facebook. La chaîne de solidarité qui s'est développée pour secourir une population en proie à tous les malheurs, si elle est appréciable en ces moments difficiles, ne doit pas, justement, être exploitée à des fins politiques. Il n'y a pas mieux pour résumer cette situation saugrenue que la réponse de Youssef Chahed à la question d'un correspondant, « le feu ravage nos terres, nos forêts et des familles ont perdu leurs maisons et vous parlez de 2019 ! ».