Par M'hamed JAIBI La nouvelle bataille politique engagée par le leader islamiste, Rached Ghannouchi, autour des futures élections présidentielles, normalement prévues pour 2019, l'a placé hors circuit par rapport à la quasi-unanimité des forces politiques et sociales du pays Une promotion personnelle prématurée Les uns parlent de provocation, les autres de promotion personnelle, certains d'atteinte à la souveraineté populaire, d'autres de polémique prématurée, les plus indulgents de déclarations inopportunes. Même Nida Tounès est contraint de se démarquer de cette sortie inattendue du cheikh, dont le parti déclare, depuis mai 2016, avoir «définitivement rompu» d'avec la prédication au profit exclusif de l'action politique. Mais l'action politique exige d'établir des liens, des ponts et des compromis, pratique que Rached Ghannouchi avait fini par maîtriser à merveille suite aux échecs catastrophiques de l'islamisation forcée sous la Troïka, à la faveur d'un accord passé avec Béji Caïd Essebsi. En intervenant en élégant veston-cravate sur Nessma TV pour interdire à Youssef Chahed de briguer la présidence de la République, il a semblé comme voulant y postuler lui-même et faire le vide dans cette perspective, ce qui a soulevé les craintes de l'ensemble de la classe politique, l'opposition y compris, dont l'ancien président Marzouki qui couvait sa revanche. Le gouvernement et l'échiquier déstabilisés Etait-ce l'objectif, la sortie de Rached Ghannouchi en candidable sur la chaîne qui avait fait campagne pour BCE, a déstabilisé autant le gouvernement que l'ensemble de l'échiquier politique. A plus de deux ans du rendez-vous du scrutin présidentiel, et alors que certains nahdhaouis de l'ombre lui susurrent qu'il fait «trop de cadeaux aux laïcs et aux profanes», Ghannouchi a-t-il voulu se placer sur le podium des éligibles où Chahed avait pris place par la magie des sondages ? Ou alors avait-il besoin de remonter le moral de ses troupes en déstabilisant le gouvernement d'union nationale et l'ensemble de l'échiquier politique ? Le fait est que ses déclarations ont provoqué et suscité une vaste polémique. Le risque d'une «aventure»... Car, en mettant dans la balance son soutien au gouvernement et l'avenir politique de Youssef Chahed, il exerce un chantage implicite qui lui ôte son habit de prêtre du consensus et de stabilisateur du gouvernement, ouvrant la voie à toutes les éventualités déstabilisatrices. Tout comme il fait la partie belle aux adversaires déterminés d'Ennahdha qui n'ont cessé de combattre l'alliance entre les deux grands partis. De par toutes les réactions à ses déclarations, Rached Ghannouchi se remet dans un certain collimateur d'antan dont il avait, ces dernières années, réussi à se défaire. En semblant vouloir briguer la présidence ou préparer une confrontation politique majeure non identifiée, au risque de compromettre le consensus national bâti de haute lutte, il fait peur aux Tunisiens et reprend, aux yeux de certains courants, la casquette ou plutôt le turban de cheikh conquérant. Un cheikh qui aurait dilapidé son crédit. Un cheikh sans provisions, solitaire. A moins qu'il ne se porte candidat... à une rapide «consolidation».