Par Hassen Zargouni (membre du Conseil national de la statistique) • La culture statistique en Tunisie au cœur de l'effort de développement La quantité d'informations qui s'est échangée dans le monde depuis cinq ans est équivalente à celle échangée il y a de cela cinquante ans, qui elle-même était équivalente à celle échangée depuis près de cinq cents ans ! Dans la société moderne, le besoin d'information sans cesse croissant crée une demande d'une ampleur considérable. Une partie de cette demande se traduit par la production de données numériques ou numérissables. Cet aspect quantitatif conduit à la réalisation de statistiques, c'est-à-dire d'informations qui permettent de mieux connaître la population à laquelle on s'intéresse. Elément important de la prise de décision dans tous les grands domaines tels que l'économie, la politique, la médecine… les statistiques ne sont que le résultat opérationnel de la statistique. Cette branche des mathématiques appliquées a toujours eu une place de choix en Tunisie tant au plan académique que professionnel. La culture statistique en Tunisie trouve ses racines dans l'identité tunisienne empreinte de modernité et de rationalité, car comme le dit l'adage. «Ce qui ne se mesure pas n'existe pas» ou du moins ne se gère pas. L'information statistique est devenue de fait un levier puissant du développement. Qu'elles soient descriptives, explicatives ou prédictives, les informations statistiques constituent le fondement de la décision stratégique ou opérationnelle, en matière économique notamment. Maîtriser les principaux agrégats économiques tels que la quantité de création de richesse par an du pays (PIB), le niveau de l'investissement par rapport au PIB, la contribution d'un secteur donné dans les exportations, la connaissance du nombre global d'entreprises actives en Tunisie, par secteur, par branche, par région, etc. et positionner ces informations statistiques au niveau régional, voire international est pour un dirigeant, un décideur public, voire un cadre d'entreprise, une obligation dont dépendent le salut et la pérennité de l'entité gérée. Or cela pose la problématique de la source de l'information statistique, de sa disponibilité, de sa fiabilité, de sa périodicité, de son accessibilité… Un exemple éloquent : qui peut, aujourd'hui et d'une manière précise, donner le nombre d'entreprises ou entités morales actives en Tunisie ? Est-ce l'administration fiscale, la CNSS, l'API, les chambres de commerce ou encore l'INS qui fait un travail extraordinaire de collecte et de production de données statistiques grâce notamment aux 180 ingénieurs statisticiens en son sein ? L'information c'est de l'argent, sa rétention est contreproductive, voire néfaste, pour l'effort d'investissement et de développement de l'économie du pays. L'activité statistique ne se limite pas uniquement aux structures publiques, elle peut concerner le secteur privé et les structures ou organisations semi-publiques : entreprises privées, établissements publics ou semi-publics, ONG, organisations nationales, associations, chambres syndicales, ordres professionnels, bureaux d'études, etc. qui agissent tous dans le cadre de la loi N°99-32 du 13 avril relative au système national de la statistique. Afin d'améliorer l'accès à l'information statistique publique, outre les rapports périodiques publiés par-ci et par-là, on pourrait imaginer une cellule marketing au sein des producteurs publics de données statistiques à l'instar de l'INS qui, en répondant aux besoins des utilisateurs (investisseurs, établissements de crédit, bureaux d'études …), en anticipant sur leurs attentes (données régionales, sectorielles…) et en packageant l'offre de données statistiques, en utilisant les règles du marketing : définition des produits et services, prix, canal de distribution et communication, l'ensemble des parties prenantes seraient dans une situation favorable, y compris l'intérêt général de l'économie du pays, qui a grand besoin aujourd'hui de l'investissement privé, qui se nourrit lui-même de l'information statistique pour une meilleure visibilité et maîtrise du risque. Les sondages, un outil indispensable pour le développement microéconomique La statistique recouvre l'ensemble des méthodes de collecte et de traitement de l'information "brute" que détiennent les individus de la population étudiée. Les sondages font partie de ces disciplines qui, tout en étant très mal connues dans leurs fondements par le grand public, n'en demeurent pas moins abondamment mises en œuvre dans les aspects les plus divers de la réalité quotidienne. Ce sont les sondages d'opinion (ce que pensent les jeunes, indice de confiance des chefs d'entreprise, etc.) et les sondages sur les modes de vie (habitudes de consommation, audiences des médias…) qui, bien adaptés à la médiatisation, constituent la forme extérieure la plus visible des sondages. Cette diffusion a pour conséquence directe d'avoir familiarisé une grande majorité des citoyens avec le concept de sondage. Cependant, il serait absurde de restreindre l'emploi du sondage au cas des enquêtes sur les opinions et les modes de vie. En se limitant à quelques domaines simples, on peut donner des exemples moins reconnus d'utilisation des techniques de sondage : la recherche de gisements pétrolifères, la recherche minière donnent lieu à sondage (au sens étymologique du terme). La détermination du volume de certaines productions agricoles résulte d'enquêtes par sondage. La vérification d'une comptabilité d'entreprise, surtout si elle est importante, s'effectue souvent par sondage. Le contrôle de la qualité de fabrication de produits manufacturés sur une chaîne d'usine s'effectue par sondage. Même en sport, les techniques de sondage sont utilisées : les contrôles antidopage dans certaines compétitions … De fait, il existe une très large gamme d'utilisations des sondages, il y a donc lieu à la fois de tenter de démystifier le domaine et de faire comprendre qu'il existe une théorie scientifique fondée des sondages. La pratique des sondages exige de faire des choix méthodologiques qui conduisent à l'obtention d'une précision maximale à coût donné, compte tenu des contraintes de disponibilité de données de cadrage fiables et vérifiables. Aussi, la complémentarité et les possibilités de coopération des bureaux d'études notamment qui collectent, traitent, analysent et diffusent les données statistiques issues des enquêtes par sondage, avec les structures statistiques publiques, constituent un aspect fondamental pour l'efficacité du système statistique global tunisien. Pour conclure L'expansion de l'économie du savoir et l'accent mis sur l'innovation est le choix effectué par notre pays pour relever le défi de l'intégration dans l'économie mondiale et satisfaire la demande de l'emploi de plus en plus nombreuse, notamment celle qui est issue de l'enseignement supérieur et de la formation professionnelle. Cela suppose que l'on épouse les standards mondiaux dans tous les domaines liés à l'environnement des affaires, y compris l'accès aux informations statistiques agrégées ou semi-agrégées et le développement du secteur des sondages pour relever des informations statistiques les plus fiables possibles à moindres coûts grâce à la maîtrise de l'ingénierie des sondages. La marge de progression dans ce domaine est immense, nous sommes tout au début d'un processus de transformation de notre relation à l'information statistique, dont on mesure aujourd'hui le caractère stratégique pour la prise de décision. On ne peut que s'améliorer. On le doit.