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Professeur Naïla Silini, docteur d'état en exégèse et relations sociales : «La charia a fait de la femme la ‘‘protectrice'' des valeurs de l'Islam »
ENTRETIEN AVEC...
Publié dans La Presse de Tunisie le 18 - 08 - 2017

L'annonce par le président de la République de la réforme de la circulaire du 5 novembre 1973 et de la révision de l'inégalité successorale a suscité une vive polémique. Vu l'importance de ces questions qui divisent notre société, nous avons interviewé pour La Presse Pr Naïla Silini Radhoui, docteur d'Etat en exégèse et relations sociales jusqu'au VIIIe de l'Hégire, professeur de l'enseignement supérieur et présidente de l'unité de recherche «La jurisprudence dans les codes du statut personnel des pays arabes» (université de Sousse). Elle est, par ailleurs, consultante auprès du Pnud et membre du groupe de rédaction du 4e rapport du Pnud 2005 «Vers la liberté de la femme dans le monde arabe». Ses récentes publications sont : «Femme et violence légitime dans les nouvelles fatawas»; «L'adoption dans la jurisprudence islamique»; «De la nature de la charia : loi de Dieu ou loi des hommes ?»; «Références ikhwanites du brouillon de la Constitution tunisienne?»; «Pourquoi les islamistes rejettent-ils la Convention de la Cedaw?» et, plus récemment encore, elle a contribué à un ouvrage collectif sous la direction du Pr Abdelmajid Charfi, une encyclopédie en plusieurs volumes : «Le corpus coranique et ses lectures» (2016). Spécialiste de civilisation islamique et experte faisant partie de l'école du renouveau de la pensée islamique, elle ne sera pas choisie désormais pour faire partie de la commission «Libertés individuelles et égalité» créée le 13 août dernier.
L'abrogation de la circulaire du ministre de la Justice du 5 novembre 1973 relative au mariage de la Tunisienne musulmane avec un non-musulman a suscité de nombreuses réactions. Quelle réponse donneriez-vous à ceux qui considèrent cette réforme trop audacieuse et contraire aux principes de l'islam et aux cheikhs d'Al Azhar qui ont condamné le communiqué de soutien du mufti tunisien à ce projet ? Ce communiqué ne vous a-t-il pas, par ailleurs, déroutée, compte tenu de l'opposition exprimée, l'an dernier (en 2016), par le même mufti à l'encontre de l'égalité successorale ?
Je dirai plutôt : comment expliquer cette susceptibilité si exacerbée que seul l'étouffement de la voix de la différence pourrait apaiser? Pourquoi aborde-t-on la question de la foi et de l'impiété dès qu'un mouvement appelle à l'égalité entre l'homme et la femme ? Quant à Al Azhar, je répondrais que l'Islam tel qu'il est défini dans le Coran nie l'autorité du «nomophylax», et qu'il est grand temps de se demander si ces lois de la charia sont vraiment l'expression de la loi divine. Je prends l'exemple du verset 2/221 qui ne parle que du polythéisme, et si on se base sur l'interprétation de ce verset il serait nécessaire aussi d'interdire le mariage mixte entre l'homme musulman et la femme d'une autre religion, ce qui n'est pas le cas. Par conséquent : peut-on parler d'une «charia» telle qu'elle est écrite dans le Coran? N'est-elle pas, au fait, qu'un produit de ce que les anciens exégètes et jurisconsultes ont perçu du Coran? Il est donc indispensable d'approcher le corpus coranique en tant que texte ouvert à toutes les interprétations. Et de le considérer, vu les fragments coraniques qui ne sont toujours pas d'ailleurs homogènes, comme un texte qui a évolué dans un système historique. Une approche qui fait surgir la question du relativisme au sens philosophique du mot. Un sens qui aboutit à adopter l'historicité de l'interprétation. Quant à notre cher mufti, je ne peux répondre qu'ainsi : c'est un personnage tragique, faisant partie d'une société arabe contrariée par la charia, et morfondue par sa présence lourde qui ne peut que porter atteinte à l'Etat civil.
Evoquer la question de l'égalité successorale a toujours suscité un débat houleux et de violentes polémiques aussi bien dans notre pays qu'en Egypte par exemple, et ce, dès le début du siècle dernier dans lequel certains penseurs avaient «osé» soulever la question. Pourquoi, à votre avis, cette quasi impossibilité de ce débat dans nos sociétés musulmanes ?
A chaque fois que la question du mode de partage de l'héritage est évoquée, des sensibilités très diverses s'en emparent. Elles ont débouché sur des prises de position qui se heurtent les unes aux autres : certaines sont favorables au partage tel qu'il est défini par la charia, d'autres non. D'autres encore vont jusqu'à accuser d'impiété tous ceux qui osent poser le problème. C'est à croire que ce mode de partage de l'héritage serait indissociable de la foi et qu'il suffirait de le reconnaître et d'éviter d'en parler pour prouver sa foi en Dieu, l'Unique, et en Mohamed son Prophète.
Notre société subit une violence épistémologique. Dès notre jeune âge, on nous apprend que tout est sacré, dicté par Dieu. Et je crois que la responsabilité des savants est grande. Les experts dans le domaine de l'islamologie ont ouvert des horizons de recherches contribuant à une révolution culturelle sans laquelle nous demeurons esclaves de postulats qui nous éloignent de ce qui a été vraiment dit dans le Coran .
Comment expliquez-vous que la législation coranique en matière de droit de succession se limite à seulement neuf versets, si l'on n'en retranche pas les quatre versets soumis à la théorie de « l'abrogeant et l'abrogé » ? Au fond, le Coran n'a pas accordé une grande importance à cette question.
Votre question nécessite une analyse bien approfondie, mais je me contenterai de souligner quelques points indispensables pour comprendre le contexte coranique relatif à la manière dont les Anciens ont lu les versets portant sur l'héritage, à celle dont nous les lisons aujourd'hui et au questionnement direct des sources. Il est important que nous ayons le courage de franchir l'obstacle de la «sacralité prétendue des textes anciens» que seuls les oulémas s'arrogent le droit d'aborder. Ces textes sont vivants malgré l'étouffement qu'ils ont subi des siècles durant. Quant à la dominance du fragment : «Après que les legs et les dettes du défunt auront été acquittés» : répété 4 fois dans les 2 versets (4/11-12), Dieu aurait, ainsi, ordonné clairement le recours au legs. Les anciens éxégètes et jurisconsultes auraient-ils été insensibles à ces constantes du Coran ? Quatre tendances existent : certains considèrent que Dieu a prescrit le legs bien avant le partage de l'héritage; d'autres agissent sur la structure du verset 4/8, et ajoutent une anecdote relative à la jurisprudence, lourde de conséquences car elle change complètement le sens du texte : «Si la fortune est abondante». Si Dieu avait voulu poser cette condition, il l'aurait tout simplement fait. D'autres, encore, se sont permis de considérer le legs comme une prescription définitive : Ibn Joubaïr disait : «Les gens n'ont pas profité de l'opportunité que pouvait leur offrir ce verset». Et enfin, d'autres s'efforcent de jouer aux conciliateurs : «Point de legs aux héritiers» auquel ils ajoutent l'expression suivante : «Il n'est de legs que dans les limites du tiers de la succession». On pourrait conclure de tout cela que les musulmans se sont détournés de leur texte sacré et se sont contentés d'appliquer ce propos au lieu d'examiner de près ce que le texte leur a prescrit.
Venons-en à la problématique elle-même du point de vue de l'Islam. Pensez-vous que le texte coranique ainsi que les hadiths ont institué l'inégalité successorale entre les hommes et les femmes ?
Ces textes ont réduit la foi à la personne de la femme, de telle sorte que le salut de la nation serait tributaire de l'acceptation par celle-ci de cette injustice «légitime» et de sa soumission au postulat que Dieu aurait exprimé, à ce propos, dans son texte saint. Adopter une attitude différente serait-elle une hérésie dont l'auteur serait damné et aurait à subir la colère de Dieu et à croupir en enfer ? C'est ce raisonnement-là qu'on a eu l'habitude de tenir face à toute lecture tendant à traduire l'égalité entre l'homme et la femme en termes de lois et de dispositions. Pour dépasser cet obstacle, il faut avoir l'audace de tourner, en tous sens, ces postulats et d'œuvrer à trouver des réponses à ces questions dans la perspective d'un engagement, de notre part à tous, à adopter une attitude sincère qui, par-delà toute idéologie, renforcerait notre détermination à nous entraider les uns les autres en vue de contribuer à ce que notre société puisse accéder à un état meilleur. Et qu'à travers les époques, les savants ont fini par croire qu'ils sont les messagers de Dieu, rapporteurs de sa parole divine, et les seuls gardiens du Livre Saint.
Face à cette injustice à l'encontre des femmes, et selon certaines sciences coraniques telles que «Asbab Al-Nouzoul» (Les causes de la révélation) et « at-ta'wil » (L'exégèse), ne faudrait-il pas plutôt incriminer certaines interprétations du texte coranique par l'école orthodoxe des fouqahas traditionalistes. Ces derniers auraient entravé toute évolution de l'interprétation de textes qui, par leur répétition dans le Coran et par l'usage des mêmes mots et expressions dans des contextes différents, n'auraient pas été autant en défaveur des femmes. Confirmez-vous cette affirmation ?
Pour ces savants, la charia est devenue, comme par miracle, synonyme d'un ensemble d'interdits liés à la femme et rien que la femme, des interdits qui emprisonnent ses actes et ses pensées, ses envies et ses désirs. En résumé, la charia a fait de la femme, bien malgré elle, la « protectrice » des valeurs de l'Islam et le bouc émissaire pour sauvegarder la oumma/communauté des musulmans. L'institution religieuse a pu conserver la répartition pyramidale de la société et la division horizontale des classes sociales, basée sur une ségrégation entre mâle et femelle, libre et esclave, riche et pauvre... «L'idée de ségrégation... s'appuie sur le slogan «égaux mais différents». En fait, on sait que l'idée d'égalité dans la différence manifeste toujours un refus de l'égalité. «La ségrégation a souvent produit la discrimination». (Simone de Beauvoir)
Ne pensez-vous pas que la question de la succession telle que posée aux premiers temps de l'Islam demeure fortement liée aux fondements socioéconomiques du système tribal qui prévalait à l'époque et que, par conséquent, les versets relatifs à cette question dans les sourates «Al baqara» (La Vache) et «An Nisaâ» (Les femmes) sont venues répondre à des situations sociales (et donc historiques) précises ?
Le Coran n'a pas fait état de tous les cas de figure relatifs à l'héritage. Je prends l'exemple de quelques lois appliquées dans l'héritage : «L'héritage du grand père». Tout chercheur ayant abordé ce sujet afin d'en comprendre les origines historiques a été considéré comme un fauteur de troubles. «La mère des veuves» : notre société ne peut plus supporter, dans le domaine des successions ce genre de questions qui relève de la polygamie. «El Minbariya». Le message apporté par le Prophète Mohamed ne peut être compris que dans la mesure où il est restitué à l'histoire, à son histoire propre, intégrant le contexte religieux de la région, pas seulement celui que définit le monothéisme, mais également des autres formes de pratiques religieuses qui se sont manifestées dans les sociétés de l'époque, même s'il se présente (ou qu'on le présente) comme une rupture avec le passé. En conclusion, l'approche des anciens n'est qu'un produit culturel, et les cas juridiques cherchaient leur légitimité en se basant sur les coutumes comme source du droit musulman. Et pour finir, je me demande : qu'y a-t-il de sacré dans tout ce que nous avons exposé ?
Ne pensez-vous pas que, d'une part, les femmes avaient joué un rôle indéniable dans la révélation des versets relatifs à l'héritage des femmes et ce par leurs plaintes contre la spoliation de leurs biens présentées au Prophète, et, d'autre part, que face à certains de ces versets, les hommes auraient protesté contre ce qu'ils avaient considéré comme des atteintes à leurs intérêts. Pourrions-nous avancer que certaines femmes de l'époque étaient à l'avant-garde de leur combat contre la confiscation de leurs droits à l'héritage ?
Non je ne le pense pas. Et si on trouve dans les livres des exégètes, quelques remarques faisant allusion à l'importance que jouaient les femmes, ce ne sont que textes littéraires conçus pour accompagner les lois juridiques. Ces textes nécessitent des études bien approfondies quant à leur véracité
Pour terminer, plusieurs siècles nous séparent de cette époque, serait-il possible d'avancer — quand bien même les contextes seraient différents — qu'en matière de combats de femmes l'histoire n'est au bout du compte qu'un éternel recommencement et qu'il serait tendancieux de considérer que les femmes dans la société islamique étaient bien marginales ?
La femme arabe incarne Sisyphe, consciente que «la liberté est une ironie chantante. Sa chevelure se permet toutes les audaces dans le dessin du vent. Ses teintes filasses sont multiples. Chacun y voit son désir ardent, son horizon salvateur. La liberté compte dans le cœur des hommes. C'est un hymne ancestral qui résonne en chacun, un tambour tendu qui fait vibrer les destinées». Puisse cette réflexion contribuer à vous réconcilier avec un islam libéral et contemporain. Puisse-t-elle contribuer à réconcilier les musulmans avec un islam qui met fin à toute dépendance qui n'entraîne que la démission de l'esprit, la peur de toute idée nouvelle et la crainte que la foi soit mise en péril.


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