L'annonce présidentielle du 13-Août a suscité un vive débat. Le discours prononcé à l'occasion de la fête de la femme a comporté des mesures jugées « progressistes » et « allant dans le sens de l'égalité homme/femme », tant réclamée par les défenseurs de la cause féminine et des droits humains. Elles se sont pourtant heurtées à un attachement à la chariâa si cher à la frange conservatrice de la population tunisienne.
« Nous sommes désormais deux peuples, il ne faut plus se leurrer », écrivait Yassine Ayari sur sa page Facebook hier, dimanche 13 août 2017. Le bloggeur, habitué des propos controversés et politiquement incorrects, a tapé dans le mille avec sa récente publication. En effet, le flot de réactions qui a suivi le discours du président de la République le 13 août, montre que ses propos ont divisé les Tunisiens. Béji Caïd Essebsi a annoncé, lors de la fête nationale de la femme, deux mesures phares : l'égalité successorale entre l'homme et la femme et la liberté, pour toute Tunisienne, d'épouser désormais un étranger de confession non-musulmane. Jugées « avant-gardistes » dans une société patriarcale qui applique encore des textes de loi s'inspirant de la Chariaa, ces annonces ne sont pourtant, pour l'instant, que de simples propositions. Pour l'égalité de l'héritage, une commission a été constituée afin d'étudier la faisabilité de la proposition et pour le mariage avec un non-musulman, une deuxième circulaire devra venir remplacer la caduque circulaire 73. Et pourtant, même au stade de théories, ces annonces se sont répandues comme une trainée de poudre et elles ont eu le mérite de susciter un débat qui gagnerait à être abordé.
La Constitution de 2014 consacre deux principes chèrement défendus par les progressistes. La liberté de conscience et l'égalité entre l'homme et la femme. Pourtant, dans les faits, les femmes tunisiennes continuent d'hériter uniquement la moitié de ce qui revient aux hommes, comme le prévoit le Coran. Elles sont aussi, dans bien des cas, privées d'épouser des étrangers si ces derniers ne montrent pas patte blanche en se faisant convertir à la religion musulmane. Dans les faits, si les députés de la Constituante ont renoncé à une inscription franche de la chariâa dans la Constitution de 2014, certains textes en restent pourtant inspirés. La Constitution tunisienne indique, dans son article premier, que « La Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain, l'Islam est sa religion, l'arabe sa langue et la République son régime ». Un article sur lequel de nombreuses personnes se basent pour justifier des lois inspirées de la chariâa islamique. Des lois qui sont pourtant devenues, depuis 2014, inconstitutionnelles en vertu de l'article 6 qui énonce que « l'Etat garantit la liberté de conscience » aux Tunisiens, mais aussi l'article premier du deuxième chapitre qui prévoit que « les citoyens et citoyennes sont égaux en droits et devoirs ».
Dans la chariâa islamique, l'égalité de l'héritage n'existe pas. Le Coran indique clairement que l'homme devra hériter le double de ce qui est dû à la femme. Si le texte coranique est souvent sujet à nombreuses interprétations, les savants de l'Islam semblent s'être mis d'accord sur ce point et n'admettent aucune équivoque. Une base religieuse qui a inspiré les articles relatifs à la succession (de 85 à 152) du Code du statut personnel (CSP) qui énonce que la fille hérite de la moitié de la part du garçon. A l'époque, si plusieurs autres textes d'inspiration charaïque ont pourtant été abandonnés avec l'avènement du CSP comme l'interdiction de la polygamie et de la répudiation, l'opinion publique était encore réfractaire à toute modification des dispositions touchant l'héritage. 61 ans après la promulgation du CSP, elle semble encore l'être. Idem pour l'interdiction pour la femme tunisienne d'épouser un non-musulman. Cette disposition pourtant inconstitutionnelle, est dictée par la circulaire 73, jugée « caduque » par de nombreux juristes mais qui reste encore appliquée. Ainsi, pour qu'une femme tunisienne puisse épouser un étranger venant d'un pays non reconnu comme étant musulman, ce dernier devra se convertir à l'islam et apporter un certificat délivré par un organisme religieux qui le prouve. Cette disposition représente plus une formalité qu'autre chose étant donné qu'elle est, dans bien des cas, faite uniquement afin de légaliser l'acte de mariage et n'engage aucunement l'époux à un quelconque devoir spirituel ou religieux.
L'argument religieux brandi comme étant une ligne rouge à ne pas franchir, vacille lorsqu'il s'agit de dispositions qui sont entrées dans les mœurs, prouvant ainsi que c'est la tradition qui prime et non pas l'islam comme religion d'Etat. En plus de la polygamie et de la répudiation, qui sont désormais abolies en Tunisie, nombreuses dispositions dictées par la chariâa n'ont pas trouvé preneur dans la loi tunisienne comme l'esclavage par exemple. Aujourd'hui plus que jamais, la question délicate de l'égalité de l'héritage dérange encore dans une société patriarcale dont elle risque de chambouler l'équilibre fragile et de, surtout, déranger les intérêts de nombreuses personnes. Cette question a donné du fil à retordre à un Habib Bourguiba qui a dû céder aux pressions en 1974 et a renoncé à amender le CSP afin d'instituer l'égalité de l'héritage. La question a aussi été abordée en 2016 au sein du parlement lorsqu'un projet de loi a été proposé par des députés afin d'instituer la légalité de l'héritage. Une proposition qui a rapidement suscité l'ire d'une bonne partie de l'opinion publique. A l'époque, le mufti de la République, Hamda Saïd, avait affirmé que « l'égalité de l'héritage est proscrite par la Chariâa » insistant sur le fait que le « texte coranique est clair à ce sujet ».
La Constitution stipule clairement que la Tunisie est un Etat civil, et pourtant, beaucoup restent attachés aux préceptes de la religion musulmane clamant haut et fort que les Tunisiens sont en majorité musulmans. Si aucune statistique claire n'existe pour trancher enfin cette question épineuse, les articles de loi rejetant une tradition charaïque vieille de plusieurs dizaines d'années dérangent encore. Elles titillent les réfractaires au changement. Pour ce faire, le président de la République se montre prudent : « Nous ne voulons pas aller dans des réformes qui choqueraient le peuple tunisien », a affirmé, dimanche, Béji Caïd Essebsi. Raison pour laquelle, à l'heure actuelle, les choses se font doucement. En matière d'héritage, le seul changement qui a été apporté, c'est la création d'une commission qui se chargera d'étudier la question des libertés individuelles et d'établir un rapport…