A quel point la place de la femme dans l'imaginaire des musulmans est-elle conforme à celle que lui a accordée l'Islam ? La femme confinée, réduite au silence et à la soumission devient de plus en plus symbole d'une religion accusée d'être inhumaine, injuste et extrémiste. Dans certaines régions du monde, la femme n'est plus qu'un long drap sombre appelé Burqa ! Dans des sociétés musulmanes plus modernes, on continue à débattre de l'émancipation de la femme, condition accordée certes mais nullement acceptée dans la plupart des mentalités arabo-musulmanes. Jeunes et adultes se méprennent souvent sur la place que l'Islam a accordée à la femme. Leurs opinions varient entre ignorance et amalgame entre le social hérité et le religieux, ou alors l'idée erronée que l'Islam a donné tous les droits à l'homme et a infériorise la femme. Des siècles nous séparent des préceptes de l'Islam, beaucoup de ce qui nous a est parvenu n'est que héritage transmis. Il est alors normal que des interprétations et des intérêts personnels s'y mêlent. En poursuivant une remontée historique des fragments de la mémoire féminine en terre d'islam, en dépassant les féminismes assimilateurs, on découvre que la condition féminine n'est ni une, ni indivisible. La musulmane n'est guère cette femme muette, réduite au silence, symboliquement ou réellement, déifiée qu'on décèle souvent dans l'imaginaire occidental. La situation de la musulmane est plurielle, elle varie selon les circonstances historiques et géographiques. L'attitude du fiqh musulman envers la femme n'est guère uniforme, elle varie selon le statut de la femme : la mineure, la nubile, la vierge, la veuve, la concubine, l'esclave, celle qui a enfanté ou umm-walad etc.… Les clauses du contrat de mariage ainsi que la condition féminine reflétaient le rang social, l'appartenance de classe, le prestige familial, la distinction et la personnalité de la femme ! Les revendications féministes sont parfois bridées par les spécificités locales et culturelles mais des horizons transnationaux élargissent leur rayonnement bien au-delà des zones anthropologiques qui les ont vues naître. Les versets spécifiques à la femme Il est possible de dégager une certaine vision de la femme, à partir du texte coranique à condition que l'on prenne en compte l'ensemble des enseignements coraniques d'une manière simultanée d'une part et qu'on adopte une lecture intentionnelle qui, au-delà de la lettre et de la conjoncture, cherche le projet spirituel global, pour mieux y adhérer. En effet, les commandements du Coran sont rapportés dans un nombre limité de versets, mais ces versets constituent un tout : certains préceptes viennent souvent équilibrer d'autres préceptes. Sur un plan général, le Coran traite la question de l'égalité de l'homme et de la femme en tant que personnes singulières moralement et socialement responsables de leurs propres faits et gestes. Dans cette perspective, nous pouvons affirmer que le Coran contient des dispositions non discriminatoires qui sont les mêmes autant pour les hommes que pour les femmes. Création de la femme de la côte d'Adam, une légende prise pour réalité Le récit de la création atteste qu'Adam et Eve sont créés chacun d'une manière singulière et complémentaire à l'autre. « O hommes ! Craignez votre Seigneur qui vous a crées à partir d'un seul être, et a créé de celui-ci son épouse, puis a fait naître de leur union un grand nombre d'hommes et de femmes. Craignez Dieu que vous invoquez dans vos requêtes mutuelles, et respectez les liens de parenté. Dieu vous observe. » (Sourate an-Nisâ, « les femmes », verset1). Ainsi, la dualité du genre humain est ici clairement énoncée sans hiérarchisation explicite de l'un par rapport à l'autre. Au sein de la doctrine musulmane, Eve ne naît pas de la côte d'Adam et elle est à égalité avec lui face à la tentation et à la désobéissance. Ils ont commis une erreur, se sont repentis et ont été pardonnés. La place de la femme dans le couple Par ailleurs, le Coran s'insurge contre la misogynie régnante de l'époque antérieure à l'islam, combat le sentiment de contrariété et de tristesse éprouvée à la naissance d'une fille et interdit radicalement la coutume de l'ensevelir vivante («Les abeilles », verset 58,59). Concernant la vie matrimoniale, il faut souligner qu'en islam le mariage n'est pas un sacrement. Les droits de la femme en matière de mariage et divorce Les femmes ont pu aussi obtenir le droit au divorce si le mari s'absente pour une durée déterminée, par exemple quatre mois, stipulée dans le contrat de mariage. Le Cadi-juge musulman pouvait permettre le remariage de l'épouse et lui octroyer la garde des enfants et la gestion du patrimoine du mari en cas d'absence prolongée. Le contrat de mariage de Kairouan, capitale spirituelle de la Tunisie et quatrième ville sainte de l'islam après la Mecque, Médine et Jérusalem, par exemple, instituait la monogamie comme régime matrimonial. Ce type de contrat attribuait à l'épouse le droit de répudier la seconde femme si le mari se hasardait à devenir polygame. La femme, l'instruction et le travail Par ailleurs l'islam a octroyé aux femmes des droits inaliénables comme le droit au savoir et à l'instruction ou le droit au travail. Les historiens de l'islam relatent qu'une épouse du Prophète, Zeineb Bent Jahch travaillait et tannait le cuir et faisait l'aumône. Elle jouissait de ce fait d'un statut particulier au sein de sa communauté. D' autre part, on ne trouve aucun verset coranique qui interdit aux femmes de participer aux activités économiques. Au contraire, pour certains exégètes le droit à l'égalité s'étend bien au delà de la sphère sociale de l'éducation ou du travail. Il en appelle explicitement à la possibilité d'une égalité dans les domaines religieux et institutionnels. La célèbre exégète Aicha Abderrahmane, bint Ashattea, affirme que la femme peut comprendre et interpréter les Ecritures. Par conséquent, Elle a le droit d'exercer la jurisprudence, discipline qui tire son origine de cet acte de compréhension d'étude et analyse des écritures. Pour cette intellectuelle une femme pourrait devenir « shaykha » d'al Azhar, la plus prestigieuse institution d'enseignement sunnite du monde arabe. L'histoire de la tradition islamique en est la meilleure preuve . Aicha Abderrahmane mentionne les noms de plus de vingt-huit shaykhat musulmanes dont la première n'est que l'épouse préférée du Prophète, Aicha, mère des croyants. La supériorité de l'homme, quand et comment ? Des 6236 versets coraniques, il y a seulement 6 qui stipulent une supériorité de l'homme vis-à-vis de la femme. Ce sont ces versets qui règlent les dispositions concernant la tutelle de la femme, la répudiation, la polygamie, la valeur limitée de son témoignage et ses droits successoraux. Les Musulmans d'aujourd'hui et la place de la femme dans l'Islam Aujourd'hui, certaines pratiques culturelles et religieuses, et dans certains cas les pratiques légales, continuent directement ou indirectement à discriminer les femmes et les filles, les excluant de la vie publique et politique, déniant leur droit égal à une indépendance économique, y compris dans le mariage, le divorce et l'héritage, et déniant l'autonomie de leur choix et leur droit de santé reproductive. Toutes ces pratiques doivent être dénoncées en tant que violations des droits humains des femmes et ne devront jamais être situées dans un contexte qui en fin de compte les cachent sous un masque culturel. Ainsi, l'herméneutique féministe marque une distinction entre les principes universels et intangibles d'une part (les finalités de l'islam), et ce qui relève du particulier, du contingent et de l'éphémère d'autre part (certaines normes musulmanes). En ce qui concerne ce second aspect, certaines pratiques, comme la polygamie , l'inégalité successorales, ont été autorisées, d'une manière limitée et contrôlée, dans le but de restreindre les comportements qui prévalaient dans la société dans laquelle est intervenue la révélation tout en encourageant les croyants ou en les mettant sur la voie d'une justice et d'une égalité pleine et entière dans leurs interactions humaines. Propos recueillis par Hajer AJROUDI