Pendant la période allant de 2010 à 2015, la Policlinique d'El Omrane a servi... à des assurés morts et enterrés depuis longtemps des médicaments spécifiques pour une valeur globale de plus de onze millions de nos millimes. L'affaire de trafic de la Policlinique d'El Omrane est l'une des affaires les plus graves et les plus colossales qui ont marqué les annales du pays. Ceci, de par le montant astronomique des fuites d'argent (une centaine de milliards de nos millimes, chiffre provisoire) et, de par l'effectif d'agents, à divers niveaux de la hiérarchie, présumés mouillés et trempés jusqu'au cou dans cet immense trafic. L'affaire vient d'être soumise par l'Instance nationale de lutte contre la corruption au procureur de la République près le Tribunal de Première Instance de Tunis. Le vaste et grave trafic de médicaments, de faux et usage de faux ayant porté sur des montants faramineux, publié en exclusivité sous la plume de notre collègue Samir Dridi dans notre livraison du 9 août sous le titre «Les coulisses d'un scandale», a suscité la stupéfaction générale et l'indignation des officiels. Le dévoilement au grand jour de ce scandaleux trafic aurait été à l'origine de l'évincement du P.-d.g. de la Cnss, remplacé par M. Habib Etoumi. L'on doit s'attendre à ce que d'autres têtes tombent à leur tour... La poule aux œufs d'or ! Dans notre précédent papier, signé S. Dridi, nous avons surtout parlé de la fuite des médicaments ordinaires. Mais le plus gros morceau concerne les médicaments spécifiques qui sont distribués exclusivement par la Policlinique d'El Omrane (Cnss) afin de mettre ce genre de médicaments, excessivement chers, «à l'abri du risque de trafic». A préciser que la prescription est soumise au contrôle et à l'autorisation spéciale préalable d'une commission ad hoc, constituée de sommités médicales, siégeant à la Cnam, à un rythme hebdomadaire. Persona non grata ! Ce qui est fâcheux, c'est que l'enquête administrative n'a pu être réalisée sur le terrain par les services d'inspection générale de la Cnss. Etant donné que le personnel en charge de l'enquête a été empêché d'accéder aux locaux de ladite policlinique pour faire son travail. Et qu'un mouvement collectif, dans un élan de colère noire, a contraint «les persona non grata» à rentrer bredouilles. Ceux-ci s'étant alors contentés de mener, tant bien que mal, leur enquête à distance. Il est évident que ce mouvement a été orchestré par les agents présumés mouillés dans ce vaste trafic, portant sur des dizaines de milliards de nos millimes. «Le trafic et les opérations frauduleuses sont si courants, encouragés par l'impunité, qu'ils sont banalisés», nous a confié l'un des agents de la Policlinique d'El Omrane, mort de regret de voir son institution d'attache ouverte aux quatre vents du pillage et de la dilapidation. «Ici, les agents propres et scrupuleux sont mis à l'index et taxés de naïveté et de pauvreté d'esprits», ajouta-t-il. L'enquête a permis jusqu'ici d'établir que 2.055 assurés se sont vus attribuer des médicaments spécifiques pour une valeur globale de 18 milliards de nos millimes, durant la période allant de 2010 à 2015. Alors que les bénéficiaires n'ont jamais obtenu une décision de prise en charge de ces médicaments sans laquelle ils ne peuvent prétendre à l'acquisition de ces médicaments spécifiques soumis au contrôle de la commission ad hoc. Des sommes faramineuses... L'enquête par échantillonnage, ayant concerné 22 dossiers, a permis de révéler qu'une importante quantité de médicaments spécifiques, dont la valeur globale est estimée à plus de 283.000 dinars, a été distribuée durant la période allant de 2010 à 2015, dans des conditions tout à fait irrégulières! Etant donné que les assurés bénéficiaires de ces médicaments n'avaient obtenu aucune décision de prise en charge, établie par la Cnam. Parmi les 22 dossiers précités, l'on a relevé que trois cas, dont les matricules ne figurent nullement dans le fichier informatique de la Cnam, ont bénéficié d'une quantité de médicaments pour une valeur de vingt et un millions de nos millimes. ... Sans décisions de prise en charge Idem pour cinq dossiers dont les titulaires qui, sans la moindre trace de décisions de prise en charge, se sont procuré une quantité de médicaments spécifiques pour une valeur globale de plus de 33 millions de nos millimes. Cinq autres cas similaires de fraudes ont permis aux assurés de mettre la main sur une quantité de médicaments spécifiques, estimés à 60 millions de millimes. La liste des cas illicites est longue et ahurissante et porte sur un montant global incroyable pouvant dépasser les 100 milliards de millimes. Pourtant, ils étaient morts et enterrés ! Autre anomalie grave révélée par le rapport d'audit externe de la Cour des comptes, c'est que, pendant la période allant de 2010 à 2015, la Policlinique d'El Omrane a servi à des assurés morts et enterrés depuis longtemps des médicaments spécifiques pour une valeur globale de plus de onze millions de nos millimes ! Ce qui prouve, selon le même rapport, l'inexistence de procédures de suivi administratif et médical périodiques et de coordination entre la Policlinique d'El Omrane et la Cnam pour ce qui concerne les cas de décès. Ceci à l'instar du mandatement des pensions qui est suspendu d'une manière systématique pour les pensionnés, dès leurs décès. Il est ainsi recommandé par le rapport de la cour des comptes aux trois caisses de sécurité sociale de moderniser leurs instruments électroniques destinés à l'échange de données sur les bénéficiaires des prestations et l'exploitation optimale du système dit «Madania», une base de données commune aux caisses de sécurité sociale dont la portée s'est avérée jusqu'ici très limitée. Nous avons par ailleurs approché une représentante de l'Institut national de lutte contre la corruption. Là, on nous révèle que ladite instance a soumis le dossier de cette affaire au procureur de la République près le Tribunal de première instance qui n'a pas encore déclenché l'instruction judiciaire. Notre interlocutrice estime que l'effectif des magistrats siégeant dans le pôle judiciaire financier est très limité par rapport au volume des affaires relevant de sa compétence. Elle insiste sur la nécessité de réserver une cour réservée à la lutte contre la corruption, si l'on entend contrecarrer d'une façon efficace le phénomène de plus en plus inquiétant de la corruption. Nous reviendrons sur cette affaire.