La policlinique Cnss El Omrane est au centre d'une grande enquête qui risque de faire tomber beaucoup de têtes. Vingt-six agents paramédicaux impliqués dans l'affaire de cette policlinique ont déjà été arrêtés puis libérés provisoirement, excepté quatre personnes qui ont été maintenues en détention, selon une source fiable qui a préféré garder l'anonymat. Quatre agents retraités figuraient parmi les accusés mais ont été innocentés. Ces agents risquent des peines d'emprisonnement et des amendes bien lourdes, pour falsification de factures et détournement de grosses sommes d'argent. Mais ce n'est que la partie visible de l'iceberg d'un dossier de corruption. Deux autres affaires ont été enregistrées à la policlinique El Omrane depuis 2011 et une troisième est en cours. Notre enquête. Des noms de malades fictifs et de personnes décédées figurent dans les listes de ceux qui ont bénéficié de médicaments spécifiques et ordinaires depuis 2011. Jusqu'à 2016, la valeur des médicaments détournés est d'environ 10 millions de dinars. L'un des agents arrêtés dans le cadre de cette enquête faisait des heures supplémentaires dans une pharmacie de nuit à Tunis pour « liquider » les médicaments volés à la policlinique. Les informations divulguées par notre source font froid dans le dos et font preuve d'une corruption rampante à une vaste échelle, avec des extensions au-delà de nos frontières. Certains malades libyens qui ont séjourné en Tunisie à l'époque où la guerre battait son plein dans leur pays ont pu bénéficier de nos produits pharmaceutiques et ce au moment où certains de nos patients se plaignaient de l'absence de médicaments de première nécessité, surtout ceux de la tension artérielle. Ce sont les intermédiaires qui détiennent les règles du jeu en général, nous confie notre source. Ils sont très discrets et entretiennent des relations avec d'autres intermédiaires tunisiens et libyens. Il a été établi que des ressortissants libyens qui ont séjourné en Tunisie pour se faire soigner de maladies chroniques surtout, ne pouvaient obtenir ce genre de médicaments en raison de leurs brefs séjours. Les intermédiaires étaient là pour satisfaire leurs besoins en produits pharmaceutiques après leur retour en Libye. Point n'est besoin de dire que ce commerce juteux a encouragé les agents corrompus de la policlinique à persévérer dans le mauvais chemin. A l'origine de l'enquête, un rapport de la Cour des comptes L'affaire a débuté en octobre 2016, confie notre source, avec le rapport établi par la Cour des comptes qui a soulevé plusieurs lacunes et anomalies au niveau de la policlinique Cnss El Omrane, ce qui a déclenché le début d'une enquête interne au niveau de la Caisse nationale de sécurité sociale (Cnss) qui allait aboutir à la découverte d'un grand trafic de détournement de médicaments. Le système informatisé de la direction centrale d'informatique de la Cnss présentait des lacunes qui n'ont fait que faciliter la falsification des ordonnances et le détournement des médicaments au profit de malades fictifs, confirme notre source. Parfois, ces agents véreux n'avaient même pas besoin d'ordonnance. Juste un petit bout de papier sur lequel étaient griffonnés les noms des médicaments qu'on faisait passer à l'un des collègues à la pharmacie de la policlinique et le tour est joué. Toutes les étapes sont ainsi non respectées. Pas d'enregistrement ni de consultation, on passe directement à la pharmacie. Certains agents ajoutaient les noms de médicaments dans la même ordonnance fournie par le médecin lors de la visite médicale, et ce à l'insu de ce dernier, nous confirme la source qui signale toutefois une nécessité de complicité avec l'agent relevant du service de la saisie sur ordinateur des produits pharmaceutiques pour parachever l'acte de détournement. Des pics de falsification entre 2013 et 2015 L'un des agents qui est actuellement maintenu en détention a réussi à falsifier 13 ordonnances en 2011, 40 en 2012, 135 en 2013, 90 en 2014, 92 en 2015, et 16 en 2016. Le pic a été enregistré en 2013, au moment où la confusion régnait dans le pays, fait remarquer notre source. La valeur globale des détournements effectués par cette personne est d'environ 200 mille dinars. Une enquête interne a révélé aussi que l'un des malades atteints d'APCI habitant dans le Grand Tunis n'avait pas reçu de médicaments depuis deux ans mais, comme par enchantement, sa présence (fictive bien sûr) est signalée dans les listes de la policlinique en tant que patient qui a reçu ses médicaments. Le nombre de visites est de quatre-vingts, pouvait-on lire sur l'une de ces listes. Il n'est pas le seul, d'autres APCI sont enregistrés sur la liste de ceux qui reçoivent régulièrement leurs médicaments, alors qu'ils n'ont pas quitté le seuil de la maison. Ils ne sont pas tous corrompus La majorité des agents de la policlinique El Omrane travaille dans les règles et refusent les pratiques de certains de leurs collègues, tient à souligner notre source. Toutefois, quelques agents se sont trouvés impliqués, à leur insu, dans l'affaire actuelle. Leurs collègues, qui sont peu scrupuleux, n'ont pas hésité à utiliser leurs noms et leurs matricules dans leurs vils desseins. L'un des agents arrêtés (une femme) a payé le prix fort de sa bonté, ou plutôt de sa naïveté, en accordant des médicaments à d'autres collègues sans respecter les procédures en vigueur (enregistrement et visite médicale). Elle a juré de ne plus tomber dans ce piège et ne fera plus confiance à personne. D'autres agents de cette policlinique ont tenté de faire face à cette corruption en dénonçant, sporadiquement ces actes, mais leurs actions et leurs tentatives étaient vaines en raison des actes de détournement des produits pharmaceutiques qui ont pris une proportion alarmante. Deux autres enquêtes pour corruption et une troisième en cours L'un des directeurs de la policlinique était au courant du « trou » enregistré au niveau de la caisse des produits pharmaceutiques du centre en question et n'a pas hésité à venir au secours du responsable en lui accordant une avance sur son indemnité de gratification pour combler le manque enregistré en liquidités. Une indemnité qu'il ne pouvait percevoir qu'en partant à la retraite. Notre source explique que cette caisse s'est muée, en toute illégalité, en une « caisse pour les prêts et le soutien social ». Une enquête a été ouverte à ce propos. Il a ajouté qu'une seconde affaire avait été relevée par les services de l'inspection de la Cnss pour vol de médicaments dans cette policlinique. Une femme de ménage et son mari (un gardien) avaient été arrêtés et révoqués en octobre 2016 avant leur traduction devant la justice. Ils sont actuellement en liberté provisoire dans l'attente de leur procès. Outre ces deux affaires de corruption, qui ont été portées à la connaissance de l'Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc), présidée par Chawki Tabib, une autre affaire est en cours, explique notre source. Elle est relative au dossier de la prise en charge des malades. Il est à signaler que les services d'inspection du ministère des Affaires sociales ont ouvert une enquête pour mettre toute la lumière sur ces affaires. Liste des médicaments qui figurent le plus sur les listes des agents mis en examen - Famodar (antiulcéreux) - Lovenox (anticoagulant ) - Uldine (antiulcéreux) - Innohep (Traitement curatif des thromboses veineuses profondes) - Daflon (traitement des symptômes en rapport avec l'insuffisance veino-lymphatique, jambes lourdes, douleurs..) - Amoxal (antibiotique antibactérien) - Zovirax (traitement des infections herpétiques cutanées ou muqueuses sévères) - Ator ( hypocholestérolémiant et hypotriglycéridémiant, inhibiteur de da l'HMG CoA réductase)