Le citoyen tunisien est appelé à apporter sa contribution à la lutte contre la corruption, sans attendre de façon passive que d'autres s'en chargent pour lui. Mais cela suppose qu'il soit instruit sur l'action engagée et sur son évolution... Quel est le point de vue du responsable d'une instance dont la mission est centrale dans cette action — l'Instance nationale de lutte contre la corruption ? La guerre contre la corruption serait-elle en train de marquer le pas après une sorte de coup d'envoi spectaculaire ? Ou serait-elle entrée dans une phase plus secrète, ou plus discrète ? Pour Me Chawki Tabib, qui préside l'Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc), la politique du «coup de poing» est nécessaire : «Je suis pour», dit-il. Mais il ajoute aussitôt que cette politique n'est pas suffisante. Elle doit s'intégrer dans une stratégie globale et c'est de la mise en œuvre effective de cette stratégie que dépendent les chances de gagner la guerre. «La corruption est un système. On ne peut donc en venir à bout qu'à travers une stratégie», insiste le président de l'Inlucc, qui rappelle par ailleurs que, dans le passé de la Tunisie, il y a eu des opérations coup de poing qui n'ont pas donné les résultats souhaités. Bourguiba en avait mené au lendemain de l'indépendance contre certaines figures d'une oligarchie dont les intérêts étaient mêlés au système colonial et, poursuit-il, Ben Ali lui-même avait fait quelque chose d'analogue peu de temps après sa prise de pouvoir pour, finalement, sombrer dans le système qu'il s'était proposé de combattre. Y a-t-il chez nous, aujourd'hui, une stratégie de lutte contre la corruption ? Oui, rappelle Chawki Tabib, cette stratégie existe et sa mise en place remonte au 9 décembe 2016, lorsqu'un pacte a été signé entre plusieurs acteurs, dont en particulier l'instance qu'il dirige, mais aussi le chef du gouvernement Youssef Chahed, l'Instance provisoire de l'ordre judiciaire et le Syndicat national des journalistes. La stratégie en question s'étale de 2016 à 2020, avec un premier «plan d'action» à l'horizon 2018. «Il y a une feuille de route et tout est expliqué», souligne Chawki Tabib, qui signale par ailleurs qu'un Comité national de lutte contre la corruption se réunit régulièrement. Mais, dira-t-on, si cette stratégie existe, pourquoi le citoyen n'en ressent-il pas la présence et pourquoi a-t-il souvent le sentiment que la lutte est menée par à-coups et de façon un peu chaotique ? «On pourra faire le bilan au bout de 100 jours, comme pour les gouvernements nouvellement installés», répond le responsable, qui admet cependant une faiblesse en matière de communication. «Il n'y a pas de ‘‘plan com'' en ce qui concerne cette stratégie et la faute nous en incombe tous», ajoute-t-il. Cette faiblesse est quand même imputable aussi à un problème de budgétisation. Mais il y a, confesse Chawki Tabib, un retard pris dans la budgétisation de toute la stratégie. Ce n'est d'ailleurs pas le seul retard à déplorer. Sur le plan législatif, il y a eu des avancées, avec des textes relatifs aux lanceurs d'alerte ou au pôle judiciaire, mais les textes d'application manquent toujours. Il faudrait, poursuit le président de l'Inlucc, avancer sur le dossier de la mise en place des cellules de bonne gouvernance dans chaque administration ainsi que sur celui de la mise à niveau des acteurs administratifs... Mais, de façon générale, il y a des moyens logistiques et humains à mobiliser et il semble donc que le niveau de préparation ne soit pas tout à fait satisfaisant : «C'est une guerre, et il faut des moyens, comme pour toute guerre !» Par conséquent, le chef du gouvernement, qui a le mérite d'avoir exprimé une volonté politique qui a manqué à ses prédécesseurs en matière de lutte contre la corruption, ne doit pas se contenter de «signer des papiers»... Et Chawki Tabib de suggérer qu'il y a toujours des blocages au sujet de la loi sur la déclaration des biens et celle sur les conflits d'intérêt. Bref, «on mérite mieux !», déclare-t-il, tout en concédant que c'est aussi son rôle de n'être jamais satisfait du rythme auquel les choses avancent. «Il faut plus d'engagement !»... En particulier de la part de certaines administrations, comme l'Intérieur, l'Equipement ou la Jeunesse et les Sports qui, contrairement à beaucoup d'autres, n'ont pas signé d'accord avec l'Inlucc : «On ne le leur a pas demandé mais, de leur côté, ils n'ont rien fait.» Alors que les ministères de la Santé, du Transport, de la Culture, de l'Agriculture ont tous fait le pas de leur propre chef. La résistance ne vient pas que de certaines zones de l'administration. Elle vient aussi du Parlement, qui a refusé de signer le pacte du 9 décembre 2016 et qui, en revanche, a adopté des textes sujets à caution, comme celui qui limite l'indépendance de l'Instance...