Pendant très longtemps, l'Inde littéraire a brillé par sa quasi-absence dans les répertoires des éditeurs parisiens. Les choses semblent progressivement changer. Depuis maintenant une décennie, la production romanesque indienne, notamment la fiction indienne de langue anglaise, est régulièrement traduite en français. Grâce à l'activisme de certains éditeurs «indophiles» plusieurs romanciers indiens ont réussi à percer dans la sphère francophone ces derniers temps. Tarun Tejpal, Arundhati Roy, Rohinton Mistry… Certains comme Tarun Tejpal, un conteur hors-pair et l'auteur de Loin de Chandigarh et Histoire de mes assassins, ont écoulé, de l'aveu même de leurs éditeurs, plus de titres en France que dans les pays anglophones. D'autres comme Arundhati Roy, auteur du best-seller mondial Le Dieu des petits riens, ou Rohinton Mistry, auteur de L'Equilibre du monde, peuvent se targuer d'avoir dans l'hexagone un lectorat fidélisé, qui guette avec impatience la parution en français de leurs nouveaux titres. Cela n'étonnera donc personne de voir, à chaque rentrée littéraire, de plus en plus de titres en provenance du monde indien (Inde, Pakistan, Bangladesh, Sri Lanka et diaspora) venir grossir l'offre de romans étrangers. Avec une dizaine de titres indiens à son actif dont un Salman Rushdie, prévu pour mi-octobre, la rentrée 2010 s'inscrit bel et bien dans cette logique d'ouverture et d'amplification. Monica Ali et Amitav Ghosh déjà en librairie Parmi les titres déjà en librairie, il y en a au moins deux qui retiennent l'attention, à la fois à cause de la qualité des récits proposés et de la notoriété de leurs auteurs. En cuisine donne à lire sans doute l'un des récits les plus originaux. Son auteur, Monica Ali, Britannique de père bangladais, s'était fait connaître en 2004 en publiant Brick Lane, devenu Sept mers et treize rivières en français, où il mettait en scène les heurs et malheurs du métissage à travers l'histoire poignante d'une jeune Bangladaise exilée dans une Angleterre étroite et nostalgique de son Empire passé. Son nouvel opus, qui fait suite à un recueil de nouvelles publié en 2007, Café Paraiso, revient à la thématique du multiculturalisme, à travers une plongée inédite dans le monde brillant et étrange des palaces londoniens. Son héros, Gabriel Lightfoot, est le chef des cuisines de l'hôtel Impérial où se côtoient toutes les nationalités. L'équilibre de cet univers fragile vole en éclats lorsqu'on retrouve dans le sous-sol du restaurant le corps d'un des employés. C'est la prise de conscience de la précarité de l'existence et de l'identité qui est le véritable fil rouge de ce roman ambitieux où le désarroi devant les mystères des ombres de la nuit laisse progressivement place aux promesses d'une aube incertaine. Avec ses 600 pages, Un Océan de pavots de l'Indien Amitav Ghosh est presque aussi gros que le roman de la Bangladaise. Et aussi passionnant. L'un des plus grands écrivains de l'Inde, Ghosh n'est pas inconnu en France. Il a obtenu le prix Médicis étranger en 1990 pour son premier roman Feux du Bengale. Un romancier au talent épique Romancier au talent épique, Ghosh a écrit des récits d'aventures, de révoltes et de quêtes, traversés par le souffle de l'histoire. Un Océan de pavots, son septième roman, ne déroge guère à la règle. Ce roman est le premier volume d'une saga au long cours de la diaspora indienne. Son action se déroule au XIXe siècle, en marge de l'entreprise impériale européenne en Asie. Les héros de Ghosh sont de petites gens, paysans et autres hors castes qui, fuyant la misère et l'oppression, s'embarquent sur un bateau en partance pour les plantations de l'île Maurice. Ils espèrent y faire fortune, mais n'y trouveront que de nouvelles épreuves et servitudes. Comment, malgré tout, ces exilés de l'espoir réussiront à survivre et à se réinventer, tel est le sujet de cette saga prodigieuse qui a la vigueur des chroniques d'Alex Haley et la profondeur de l'œuvre tolstoïenne.