Par Raouf SEDDIK Alors que s'ouvre aujourd'hui l'Assemblée générale des Nations unies et que la crise libyenne est à l'ordre du jour de rencontres importantes, l'Union africaine tend à affirmer sa présence sur un dossier qui a trop longtemps nourri des convoitises étrangères — tout autant d'ailleurs que des fantasmes de recolonisation... Un sursaut diplomatique auquel la Tunisie apporte sa contribution ! Le 9 septembre dernier s'est déroulée à Brazzaville une réunion autour de la crise libyenne. Il s'agit en réalité d'une réunion du «Comité de haut niveau de l'Union africaine sur la Libye», dans sa 4e édition. Elle intervenait à quelques jours d'une rencontre importante, prévue en marge de l'Assemblée générale des Nations unies — dont l'ouverture a d'ailleurs lieu aujourd'hui. Mais elle intervenait aussi après une autre rencontre, qui a pu susciter la perplexité de certains : celle de Paris, au cours de laquelle les deux grands protagonistes de la crise libyenne, Fayez El-Sarraj et Khalifa Haftar, ont pu se retrouver face à face en présence d'Emmanuel Macron. C'était le 25 juillet dernier. Rappelons que ces rencontres directes entre les deux figures centrales de la scène politique libyenne relèvent encore de la gageure et que l'on ne compte guère que les Emirats arabes unis qui, au début du mois de mai, avaient réalisé cet exploit à Dubaï. C'est dire que la rencontre de Paris était dans les esprits. Pourquoi cette rencontre a-t-elle suscité la perplexité ? Parce que la France continue d'être perçue par beaucoup comme l'une des principales puissances étrangères qui, au moment de la chute du régime de Mouammar Gueddafi, ont tenté de faire prendre aux événements un cours conforme à leur propre agenda. Souvenons-nous du couple Sarkozy-Bernard Henry-Lévy... Or, aujourd'hui, une des grandes difficultés qui s'opposent au retour de la paix et de la concorde en Libye, c'est justement la hantise que telle ou telle proposition présentée par une des parties, tel ou tel compromis, soit le fait d'une puissance étrangère qui chercherait à pousser ses pions de façon dissimulée. Et le soupçon avait d'autant plus de raison d'être nourri dans le cas précis que la France, jusque-là, n'avait pas brillé par ses efforts sur le terrain pour ramener les multiples acteurs vers une position de consensus. Au contraire, dirait-on, la présence militaire française dans l'est de la Libye, révélée à la faveur d'un accident d'hélicoptère ayant coûté la vie à trois officiers, avait provoqué en juillet de l'année dernière une vague de protestations populaires dans plusieurs villes. Par conséquent, l'irruption soudaine de la diplomatie française dans le dossier de la crise libyenne et, plus encore, la volonté d'y occuper un rôle de tout premier plan, cela ne pouvait pas manquer de taquiner les suspicions et même de réveiller certaines colères. Le changement de personne à la tête de l'Etat français n'y changeait rien. La réunion de Brazzaville avait manifestement pour mission principale de corriger cette erreur de trajectoire et de rétablir les conditions de la confiance. «Rien n'est plus nuisible à nos efforts de solutions de la crise libyenne que la contrariété des agendas et des approches», a martelé le président de la Commission de l'Union africaine, Moussa Faki Mahamat. Le nouvel émissaire de l'ONU pour la Libye, le Libanais Ghassane Salamé, se joindra à cette préoccupation dans ses déclarations. Et c'est donc dans cet esprit qu'une feuille de route a été mise au point, sous la double supervision de l'ONU et de l'Union africaine. Or cette feuille de route prévoit en particulier que des négociations soient entamées concrètement entre des «commissions de dialogue» au sujet de l'amendement de l'Accord politique de Skhirat. Des discussions ont eu lieu et des accords de principe ont pu être enregistrés durant les derniers mois à l'occasion des diverses rencontres qui se sont déroulées — y compris celles de Dubaï et de Paris — mais rien de définitif ni de véritablement inclusif n'a été atteint. Il s'agit désormais de s'atteler à la réalisation d'un nouvel accord politique qui engagerait tous les acteurs et dont aucun d'entre eux ne pourrait par la suite invoquer tel ou tel «vice de forme» pour s'en dégager. C'est la Tunisie qui s'offre pour accueillir ces pourparlers. Elle bénéficie pour cela de quelques avantages : le lancement d'une initiative de paix rassemblant les pays voisins (Tunisie, Algérie et Egypte) et qui a déjà à son actif plusieurs réunions ; l'insistance de la position tunisienne sur la présence, au niveau des discussions, de l'ensemble des acteurs politiques sans esprit d'exclusion — comme l'a rappelé récemment le ministre des Affaires étrangères — et, enfin, last but not least, l'expérience du dialogue politique et de la transition. Rendez-vous est pris à la fin du mois d'octobre, à Brazzaille, pour faire le point sur l'avancement de ces discussions dont un premier résultat est déjà acquis : l'implication active dans la résolution de la crise libyenne, non seulement des pays du voisinage, mais également des pays africains dans leur ensemble. Une seconde rencontre, en décembre celle-là et à Addis Abeba, siège de l'Union africaine, devrait donner toute sa mesure à l'engagement diplomatique de la communauté des pays africains en faveur de la résolution de la crise libyenne et, au-delà, de toutes celles qui pourraient survenir dans le continent. De la puissance de cet engagement dépendra aussi le recul des «interventions étrangères» — réelles ou seulement supposées — qui empoisonnent tant les relations diplomatiques et alimentent parfois d'importunes et stériles paranoïas...