Le porte-parole du Front populaire met en garde contre un putsch constitutionnel et prévoit des dérapages politiques et économiques dangereux En réaction à ce qui s'est passé, ces derniers jours, sur la scène politique, les couacs sous la coupole du Bardo, la manière dont fut adoptée la loi sur la réconciliation administrative, la récente rencontre de l'Isie avec les partis et la date des municipales 2017 reportée, arbitrairement, au 25 mars prochain, le Front populaire a mis son veto contre un tel passage en force et contre les calculs étriqués dictés essentiellement par les conflits d'intérêts joués dans les coulisses du pouvoir. Hamma Hammami, accompagné de ses lieutenants-ténors du Front, a donné, hier au siège du parti des travailleurs à Tunis, une conférence de presse, au cours de laquelle il a fait une lecture radioscopique de l'actualité politique et ses rebondissements. Le militant frontiste se pose, dans ses analyses, en historien de l'instant, ne laissant rien échapper à ses regards croisés. De l'affaire Faiza Souissi, l'institutrice qui a défrayé la chronique scolaire, le jour de la rentrée dans une école à Sfax, les crédits conditionnés du FMI, la crise de gouvernance, jusqu'à l'interview de Béji Caïd Essebsi, accordée avant-hier soir à « Al Watania », Hamma Hammami a fait un tour d'horizon de ce qui continue à plomber l'ambiance générale en Tunisie. Et d'ajouter que les soi-disant réformes invoquées pour le meilleur du pays ne sont « qu'une fausse vérité, grossièrement imposée par le FMI. Et que la guerre déclarée contre la corruption n'a pas de sens, tant que les corrompus courent toujours, dans l'impunité totale ». Un putsch constitutionnel ? « Le gouvernement et la présidence de la République nous mènent à la case départ, à des anciennes pratiques despotiques qu'on croyait révolues à jamais», pense-t-il, non sans crainte de voir « ces forces contre-révolutionnaires » inverser la vapeur. Et là, croit-il encore, l'insistance du président Caïd Essebsi à changer le régime politique explique une volonté, à peine voilée, de virer vers l'Etat-parti où son chef autoritaire fait la pluie et le beau temps. A ses dires, il y a l'ombre d'un plan de putsch contre la Constitution. « Et nous, dans l'opposition, avons fait de notre mieux pour sortir de la crise économique dans laquelle s'enlise le pays depuis la révolution. Nous avons proposé pas mal d'initiatives dans ce sens visant à réduire nos dettes, améliorer le pouvoir d'achat et instaurer la justice fiscale. Mais sans succès, tous nos projets de solution ont été renvoyés aux calendes grecques», témoigne-t-il. C'est que la coalition au pouvoir n'en fait, toujours, qu'à sa tête, mettant le peuple devant le fait accompli. Et la dernière goutte d'eau qui va faire déborder le vase, c'est bien les déclarations de Béji Caïd Essebsi dans l'interview qu'il a accordée, lundi soir, à « Watania 1», à l'encontre de Hamma Hammami et où il n'a pas manqué de tirer à boulets rouges contre le Front populaire. Pour le père fondateur de Nida, le FP agit en acteur destructeur de la scène politique. Lors de la conférence, le porte-parole du Front populaire a tenu à riposter autrement : « Nous n'allons guère faire marche arrière. Nous continuons à préserver les acquis de la révolution, défendre la Constitution, les instances indépendantes, l'indépendance de la justice et la séparation des pouvoirs ». Son cheval de bataille est de faire face aux mesures draconiennes que le gouvernement compte prendre dans ses réformes économiques. Le 25 mars, une date arbitraire ! Et Hamma de renchérir, « plus jamais le retour à la dictature, au régime présidentialiste et encore moins à une économie qui tient le peuple tunisien en haleine ». D'ailleurs, la loi de la réconciliation administrative s'inscrit dans cette mauvaise tendance visant, selon lui, à blanchir autant des fonctionnaires corrompus que leurs assimilés. Cela dit, en filigrane, une sorte d'amnistie générale qui voudrait « recycler » les bras cassés de l'ancien régime. Par ailleurs, la dernière consultation de l'Isie avec les partis politiques autour du report de la date des municipales, initialement fixée le 17 décembre 2017, était, à ses dires, une « véritable mascarade». Car, juge-t-il encore, y venir avec une date proposée d'avance, soit le 25 mars 2018, est une fausse note qui incarne des compromis arrangés dans les coulisses. Son camarade Zied Lakhdhar, secrétaire général du Parti des patriotes démocrates unifié (Ppdu), l'a jugée comme une nouvelle échéance arbitraire, suggérée à l'emporte-pièce. Alors qu'aucun calendrier n'a été, jusqu'ici, établi, pour qu'une date ultérieure soit, raisonnablement, choisie. « Sauf Ennahdha, la majorité de la classe partisane n'était pas d'accord sur cette nouvelle échéance dont la date semble être fixée d'avance, sans préavis des autres partis», révèle-t-il. Zied Lakhdhar a déclaré qu'il a été convenu de se réunir dans les dix jours à venir pour mieux s'accorder sur une date ultimatum, et à la seule condition que l'Isie s'engage à préparer, à cet effet, un calendrier précis. De même, l'adoption du Code des collectivités locales, la création des tribunaux administratifs régionaux et l'intégrité de l'administration. Mais, Hamma Hammami dit n'avoir plus confiance dans cette Instance, l'accusant de partialité. L'Isie n'arrive pas, jusque-là, à pourvoir les postes vacants, l'ARP en étant, d'après lui, le premier responsable. Il a tiré la sonnette d'alarme présageant de dangereux dérapages politiques, consistant en un coup d'Etat constitutionnel et un retour de manivelle. A propos de la loi de réconciliation administrative, Zied Lakhdhar a révélé qu'elle est anticonstitutionnelle, parce qu'elle vise à innocenter des fonctionnaires impliqués dans des malversations sous Ben Ali. Pour lui, il n'est pas question de lâcher prise, avant que cette loi ne soit retirée, au moyen des recours constitutionnels. Dans sa brève intervention, M. Zouhair Hamdi, secrétaire général du Courant populaire et dirigeant au sein du Front populaire, est revenu sur l'interview du président de la République qui n'était pas, selon lui, un discours d'un chef d'Etat et président de tous les Tunisiens. Et d'ajouter, en un mot, « Béji Caïd Essebsi considère notre Front comme une pierre d'achoppement ». Tant il est vrai, conclut-il, que les frontistes jouent l'opposition face aux convoitises insensées de la coalition au pouvoir.