A l'approche de la période des grands rhumes et autres maladies saisonnières, Tarek Ben Jazia, DG de l'Institut national de consommation (INC), met à l'index l'automédication. Dr Ahlem Hajjar, vice-présidente du conseil de l'Ordre des pharmaciens, propose des solutions. Selon Tarek Ben Jazia, DG de l'Institut national de consommation (INC), les données révélées par l'enquête réalisée il y a plusieurs mois par son organisme (qui relève du ministère du Commerce) sont toujours d'actualité, alors que le recours des Tunisiens à l'automédication est devenu un phénomène quasi ancré dans les comportements de nos concitoyens. Il nous a ainsi confirmé que près de 61% des Tunisiens achètent les médicaments directement chez les officines en court-circuitant les médecins et en se basant uniquement sur les conseils de proches ou, rarement, du pharmacien. Comble de la malhonnêteté, l'enquête a révélé qu'un consommateur sur 4 téléphone au médecin pour «conseil» sans payer une visite médicale en bonne et due forme. Et le Tunisien boucle son opinion par la lecture des notices des médicaments. Ben Jazia dénonce les antibiotiques Les travaux de l'INC ont également permis de savoir que les antibiotiques ont la part du lion dans la vente de médicaments puisque leur usage a augmenté de 38% durant cette période, et la tendance est à la hausse. L'INC a même organisé une Journée de sensibilisation «pour une alimentation sans antibiotiques» qui a clairement montré que 50% des antibiotiques utilisés dans le monde sont destinés à l'élevage des animaux, pour le traitement et l'accélération de la croissance et de cela résultent des produits alimentaires d'origine animale contenant des résidus d'antibiotiques, surtout dans les commerces parallèles. Un constat qui démontre tout le danger de la tendance de certains pharmaciens et médecins à proposer aux patients des antibiotiques alors que leur situation ne l'exige pas. Mais pourquoi ce penchant pour les antibiotiques ? Tous les praticiens le savent, chaque antibiotique agit sur un type de bactérie et si on le prend répétitivement, notre organisme s'y habitue et il n'aura donc plus aucun effet car les bactéries, elles aussi, s'y seront habituées et deviennent ainsi plus résistantes. Résultat : il est incontournable de recourir à un antibiotique plus fort. Et nous voici alors entraînés dans un cercle vicieux : des antibiotiques de plus en plus forts qui nous mènent irrésistiblement vers un point de non-retour. C'est notre organisme qui en paye les frais devant l'apparition des germes multi-résistants qui sont devenus une menace dangereuse. Hajjar appelle à la compréhension Il n'est donc pas étonnant que Ben Jazia appelle à objectiver le rôle du pharmacien et à faire connaître davantage auprès des consommateurs les périls de l'automédication. Des «accusations» contre les officines formulées par à Dr Ahlem Hajjar, vice-présidente du conseil de l'Ordre des pharmaciens, qui atteste que si le pharmacien est le spécialiste du médicament par excellence, il n'en reste pas moins qu'il ne doit en aucun cas empiéter sur le travail du médecin. «Nous distribuons librement les médicaments banals mais pas de ‘médicaments de tableau' qui nécessitent une prescription médicale. Le conseil de l'Ordre le répète inlassablement à ses membres qui savent évidemment que telle est la loi. C'est l'exemple de l'antibiothérapie qui doit absolument être guidée». Dr Hajjar convient cependant qu'il y a des cas où les officines qui se trouvent dans des lieux reculés sans médecin à proximité sont amenées à donner certains médicaments mais de manière raisonnable. «Il faut bien comprendre la situation. Personne ne peut prétendre mettre fin à l'automédication alors que la charge médicamenteuse est de moitié portée par le citoyen, que les consultations chez les spécialistes coûtent 50 ou même 60 dinars, que la couverture sociale n'est pas complètement généralisée... dans les pays développés, la couverture est quasi totale et il n'y a donc aucune raison pour que les gens se tournent vers l'automédication. Pour le moment, nous ne pouvons faire chez nous qu'avec les moyens du bord», regrette-t-elle. Pour conclure, rappelons seulement que l'automédication est due à plusieurs facteurs dont le manque de médecins dans les régions reculées puisqu'il pousse les patients à recourir aux pharmaciens. Rappelons également que, pour faire face à cette logique de catastrophe, trois actes sont nécessaires, à savoir alléger la part du Tunisien dans les frais de santé (plus de la moitié des frais de santé sont supportés par les ménages), réglementer les procédures de vente de médicaments, faire un grand geste pour l'environnement (le Tunisien est exposé aux polluants, métaux lourds, produits chimiques, pesticides... qui mènent à la multiplication des maladies néoplasiques, inflammatoires et allergiques. Et aussi l'entassement des déchets qui sont partout amènent les rongeurs et les chiens errants et ouvrant la voie à la recrudescence de nombreuses maladies telles que l'hépatite, la rage, la leishmaniose, ou la fièvre typhoïde...). Il est crucial de mener d'urgence une campagne nationale de sensibilisation contre l'automédication, notamment pour les enfants. Liste noire des médicaments sans ordonnance Malheureusement, une telle liste n'existe pas en Tunisie et nous-nous sommes donc inspirés de «La liste noire des médicaments sans ordonnance à éviter» que vient de publier notre confrère «60 millions de consommateurs», il y a quelques jours. D'abord, les «anti-rhume» qui sont des cocktails de deux à trois composés actifs : un vasoconstricteur (nez bouché), un antihistaminique (nez qui coule) et du paracétamol ou de l'ibuprofène (maux de tête) avec des risques de surdosage et d'effets graves (accidents cardiovasculaires, neurologiques, vertiges...). Sur 62 médicaments «passés au crible» seuls 21% d'entre eux (13) sont «à privilégier». Ils ont un rapport bénéfice/risque favorable, indique le magazine dans son dernier hors-série. Un tiers est classé «faute de mieux»: leur efficacité est faible ou non prouvée mais ils ont peu ou prou d'effets indésirables. En revanche, parmi ces 62 médicaments, près d'un sur deux (28) est tout simplement «à proscrire», le rapport bénéfice/risque étant défavorable en automédication.